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Histoire de la pensée politique
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I. La connaissance historique: en vue de quelle fin?
A. L’histoire, un savoir historiquement situé
B. L’histoire est-elle dirigée vers sa fin?
C. Y a-t-il une fin de la politique?
Chronologie et frise des penseurs politique
Nécessaires+utiles MAIS elles ne constituent pas une histoire de la pensée (au sens fort de l’expression) —> une histoire pensée dans sa signification historique
Pouvons-nous nous plonger directement dans l’etude du passé?
NON:
Nous devons comprendre en quoi le passé est le notre (notre perception historique), ce qui nous oblige à définir notre présent
Nous devons choisir de quelle manière nous devons interroger l’histoire
—> saisir le passé dans son lien+différence avec le présent
L’inevitable idée que nous avons de notre situation historique —> elle vient de quoi?
Du fait que nous nous trouvons dans l’histoire —> un préjuge inconscient
—> DONC nous devons mettre notre idée de l’histoire à l’épreuve de l’étude du passé, dans sa distance avec elle
L’histoire selon Georges Canguilhem (La Connaissance de la vie, 1952)
«Le sens de la possibilité» car l’histoire ne peut pas consister à:
raconter exhaustivement ce qui a eu lieu
dessiner des trajectoires
choisir des évènements dans leur masse
—> l’histoire doit aborder le passé de manière à ce que nous puissions nous situer par rapport à lui —> dans un espace de possibilités
Or, faire de la politique veut dire que?
Nous devons nous demander que pouvons-nous faire, quelles sont nos possibilités
Pourquoi faire de la politique requiert l’etude de l’histoire?
Parce que toute action s’inscrit dans une situation historique qui porte en elle les décisions passées qui l’ont produite
—> La question «que faire?» suppose la question:
«où en sommes-nous?»
«comment en sommes-nous arrivés là?»
La question «où en sommes-nous?»
Une question historique par excellence:
l’histoire donne au présent sa profondeur de champ
l’histoire fait apparaître les possibilités du présent en faisant apparaître le passé comme un ensemble de décisions parmi des «possibles»
—> notre présent est une des possibilités de l’histoire
Qu’est-ce que éclaire le passé?
Nos propres possibilités, les enjeux de notre présent (=une large mesure des choix faits dans le passé) —> Qu’est-ce qui, dans les configurations politiques où nous vivons, relève d’une « nécessité » et qu’est-ce qui résulte de choix passés que nous pouvons récuser?
Deux penseurs qui ont crée leurs pensée politique à travers des travaux d’histoire
Machiavel (les Discours sur Tite-Live)
Michel Foucault (tome 1 de son Histoire de la sexualité, intitulé La Volonté de savoir)
Machiavel (les Discours sur Tite-Live)
Le fondateur de la philosophie politique moderne: l’acte de nassaince de la science politique
La politique = la lumière des enseignements historiques —> une analyse des cas historiques car ils sont des révélateurs de possibilités politiques
Michel Foucault (tome 1 de son Histoire de la sexualité, intitulé La Volonté de savoir)
Ses livres politiques sont des livres historiques (dans sont tome 1 de cette ouvre il y’a des objets qui traditionnellement ne passent pas pour politiques) —> en tant qu’historien de la (pensée) politique il est (tenu pour) un penseur politique
Quel est le sens de l’expression «histoire de la pensée politique»?
Cette histoire est-elle unitaire?
N’est-elle que «l’espace d’une dispersion»?
Une histoire de la pensée?
Une histoire des idées?
Une histoire de la pensée politique?
Une histoire politique de la pensée?
—> Trois questions, donc:
En quoi consiste une connaissance historique?
Quel est l’objet de la politique?
Quelle est cette dimension de la politique que désigne la pensée ?
Cette histoire est-elle unitaire?
Comme le voulait Hegel
—> pour lui l’histoire était le nom d’un progrès continu (—> non linéaire)
—> pour lui la connaissance de l’histoire était:
la connaissance de ce progrès
la saisie du sens global du développement de l’humanité
la saisie des étapes de sa marche vers le déploiement de la vérité
N’est-elle que «l’espace d’une dispersion»?
Comme le disait Foucault: l’histoire comme la discontinuité radicale d’un «éparpillement» d’époques dépourvu de centre, et n’ayant en aucun cas la forme d’un développement dont la fin serait inscrite dans l’origine
Une histoire de la pensée?
Conçue comme une succession de découvertes de problèmes et d’inventions de solutions
Une histoire des idées?
Idées qui peuvent n’être que les croyances, les imaginations et les idéologies — qui comprennent aussi des lubies, voire des folies — dans lesquelles les êtres humains ont projeté leurs désirs et leurs passions, et souvent leurs haines et leur fanatisme
Une histoire de la pensée politique?
Suivant une logique intellectuelle qui:
lui serait propre
aurait une efficacité dans le réel
Une histoire politique de la pensée?
Dans laquelle:
la pensée ne serait qu’un accompagnement ou un reflet des faits sociaux et politiques
les idées ne seraient peut-être que des masques ou des armes stratégiques utilisées par les belligérants des batailles politiques successives
Partie 1: I
La connaissance historique: en vue de quelle fin?
Quelle est la double fonction de l’histoire?
Aide à:
comprendre «comment nous en sommes arrivés au point où nous en sommes»
percevoir le poids et la présence du passé dans le présent
Dépaysement de nos «évidences» spontanées + fait nous prendre du recul sur nous-mêmes
Donc, l’histoire met en évidence, elle souligne et elle nous rend sensibles?
Elle met en évidence la différence et l’éloignement du présent au passé
Elle souligne «l’étrangeté» du passé (les modes de pensée n’étaient pas les nôtres)
Elle nous rend sensibles à «l’étrangeté» du présent dont les modes de pensée ne nous semblent «évidents» que par l’habitude que nous en avons
Exemple d’une confrontation que l’histoire nous fait: notre définition de démocratie
Pour les Grecs anciens l’election = procédure d’attribution d’un pouvoir typiquement aristocratique (où les pouvoir va à quelques élus) —> la procédure authentiquement démocratique était celle du tirage au sort
Penser notre situation historique nous oblige ainsi à penser l’histoire même des concepts dans lesquels nous la pensons
Car notre situation est elle-même déterminée/façonnée par les concepts dans lesquels nous la pensons —> ces concepts sont le résultat d’une histoire que nous avons à comprendre pour:
ne pas être simplement «agis» par elle
pouvoir agir en elle
(au moins) ne pas céder à ses illusions
Une difficulté: Comment des sujets historiques et politiques peuvent-ils prendre sur l’histoire et la politique un point de vue «objectif»?
Un cercle don’t il n’est pas possible de sortir mais qui n’est pas vicieux (il nierait pas q’une connaissance objective soit possible en matière d’histoire politique)
La façon dont une connaissance est située
Cette connaissance est capable d’être objective (sans être absolue ou totale)
A. L’histoire, un savoir historiquement situé dans l’histoire
L’historien est lui-même situé dans l’histoire: il perçoit celle-ci depuis le moment présent qu’il occupe —> nous devons commencer par:
notre perception présente de l’histoire
la différence du présent et du passé
un effort pour nous «décentrer» de notre présent
Notre perception du passé est déterminée
Elle est «filtrée» par notre mentalité présente (avec toutes ses présuppositions inconscientes) —> nous risquons de:
«projeter» ou de
«surimposer» sur un passé qui pensait dans d’autres cadre
Comment pouvons-nous mettre notre mentalité présente à distance?
Que au prix d’un travail d’apprentissage qu’on peut comparer à celui de l’apprentissages de langues étrangères —> La langue du passé est comme une langue étrangère où les mots, même identiques aux nôtres, n’ont pas les mêmes valeurs, les mêmes résonances, les mêmes connotations
Dans quels termes pensons-nous?
Dans des termes qui:
sont les résultats de longues sédimentations historiques
sont chargés de l’histoire de leurs déplacements, transformations, enrichissements, etc.
risquent de nous induire dans une compréhension faussée (="déformé" ou "altéré") du passé
Exemple du mot de «démocratie» —> à quoi associons nous la démocratie?
À des élections libres+un régime représentatif
À partir de quand est-ce que les notions de démocratie se fusionnent?
Que à partir de la révolution américaine (1776) suivie par la révolution française
La démocratie au XVIIIème siécle
Elle reste associée aux pratiques de la démocratie directe et du tirage au sort des gouvernants —> ce pourquoi les révolutionnaires américains décident d’utiliser le mot de «république» pour souligner la différence entre:
le régime représentatif qu’ils promeuvent (qui est une forme aristocratique de démocratie, une démocratie corrigée et « filtrée » par une procédure élitaire)
la démocratie proprement dite (où ils voient une tyrannie de la masse et des pauvres)
Le mot démocratie dans le courant du XIXème siècle = synonyme de la «république» de la fin du XVIIIème siècle
Le mot finit par s’associer dans le sens commun à l’idée de «démocratie représentative» ou «parlementaire» —> reléguant le tirage au sort des gouvernants au rang des pratiques dépassées ou excentriques
L’exemple du mot de «religion»
Mot latin: implique une autonomisation/une «spécialisation» de la sphère «religieuse» (à partir de la foi en un être « surnaturel ») qui ne s’applique pas à toutes les cultures (qui ne distinguent pas forcément le sacré et le profane à la façon des grandes religions monothéistes)
Le penseur conservateur Arnold Gehlen et la religion
«Qui parle de religion au lieu de parler de Dieu s'inscrit déjà dans la tradition des Lumières»
L’utilisation du concept de religion selon Jacques Derrida (Foi et savoir, 1996)
Nous oblige à «prendre acte de ce que déjà nous parlons latin»
Exemple du concept «politique»
Il émerge en une époque déterminée (celle des cités de la Grèce antique) et il n’a cessé de se modifier au cours de son histoire —> L’apparition au XXème siècle d’une distinction entre «le» politique et «la» politique
La distinction entre «le» politique et «la» politique
Elle est assez incertaine: elle change de sens et de valeur selon les auteurs
—> les uns lui accordent une importance cardinale
—> les autres la jugent secondaire ou marginale
Quels sont les autres qui valorisent le politique?
Julien Freund, Marcel Gauchet, Paul Ricœur: terme conçu comme un principe de légitimité ou une réalité noble par opposition aux basses stratégies de pouvoir, d’intérêts et de clientélisme qui sont l’ordinaire de la politique
Qui sont les autres qui affirment la supériorité de la politique?
Cornelius Castoriadis, Jacques Rancière: terme conçue comme domaine de libre
initiative et d’activité innovante, voire émancipatrice sur le politique (identifié à l’ordre
établi et à la pesanteur des institutions traditionnelles)
Une difficulté sérieuse que cette distinction reflète: est-ce qu’on est en droit de parler de «politique»?
Par exemple dans le contexte de sociétés qui ne disposent pas de ce concept et ne conçoivent pas une sphère d’activité séparée qui serait la politique (distinguée de l’économie, de la culture, de la religion)
«Le» politique
=les formes qui instituent les relations sociales comme telles, ou encore les relations de pouvoir
«La» politique
=l’activité qui se déroule dans le champ spécifique portant ce nom, ou encore l’action ayant pour objet la détention, l’exercice ou la définition du pouvoir
Cette distinction permet quoi?
De dire qu’il y a «du» politique en toute société (puisqu’il y a en toute société des relations de pouvoir et une mise en forme des relations sociales) tout en reconnaissant qu’il n’y a pas en toute société de «la» politique (au sens d’un domaine séparé et spécifique, ayant ses lois propres et pouvant faire l’objet d’inventions et d’innovations)
Il faut à tout prix repérer du «politique» là où la notion en est absente et projeter sur toutes les sociétés des notions propres aux «sociétés politiques»
Comment saisissons nous le passé?
Comme il apparaît dans la perspective que nous avons sur lui depuis notre présent —> nous ne percevons tout «commencement» comme un commencement que depuis notre propre présent parce que nous pouvons identifier de quelle série d’événements il a été le commencement (ce que ne pouvaient pas faire les contemporains)
Donc, chaque époque tend ainsi à penser le présent à partir d’un futur qu’elle anticipe, mais qui est rarement le futur qui se réalisera
Nous ne pouvons pas savoir, au présent, ce que nous serons pour nos successeurs (ce qui nous aurons été) —> Par exemple: les philosophes des Lumières (e.g. Voltaire) auraient été très surpris si on leur avait annoncé que la monarchie serait abolie en France par une révolution avant la fin du XVIIIème siècle
Pourquoi l’histoire est toujours un choix?
L’historien ne peut pas tout raconter. Il est obligé de choisir ce qu’il va raconter et ce qu’il laisse de côté, sinon ce serait trop compliqué et chaotique
Même une histoire qui se dit "universelle" est en réalité une addition de petites histoires locales, avec beaucoup de trous (ce qu’on ne raconte pas)
—> Si on voulait tout raconter, ce serait trop vaste et cela n’aurait plus de sens
L’histoire est toujours partielle (et un peu partiale)
Même si elle se veut neutre, l’histoire est toujours vue depuis un certain point de vue
—> Par exemple: on ne peut pas raconter en même temps l’histoire de la Révolution française du point de vue des Jacobins+des aristocrates, car leurs visions s’opposent.
—> Il y a donc de nombreux récits possibles, mais pas un seul récit "vrai" ou "total"
—> Donc: Il faut choisir une version ou bien reconnaître qu’aucune version unique de l’histoire n’existe vraiment
Cette difficulté a été exposée par Claude Lévi-Strauss (La Pensée sauvage, 1962)
Strauss critique Sartre dans sa Critique de la raison dialectique (1960), qui pensait qu’on pouvait connaître l’histoire dans son ensemble (une "totalité"):
L’histoire avec un grand H est un mythe, une invention
Il n’existe pas une seule histoire de l’humanité, mais plein d’histoires partielles, locales, limitées
—> C’est seulement comme ça qu’on peut faire de l’histoire
Mais attention: tout n’est pas égal non plus!
Certains critiques disent que Lévi-Strauss va trop loin:
Ce n’est pas vrai que tous les récits (des acteurs, des témoins, des historiens) valent la même chose
Certains récits sont meilleurs que d’autres: plus justes, plus complets, plus fidèles aux faits
L’historien peut montrer que certaines croyances sont fausses, même si elles ont influencé les gens à l’époque
Il ne s’agit pas de dire que le passé est imaginaire, ou que l’histoire ne peut pas être objective
Mais il faut reconnaître nos limites:
Nous ne connaissons pas tout sur le passé
L’histoire que nous faisons est toujours influencée par nos questions et nos intérêts du présent
—> C’est ce que Max Weber disait aussi: nous construisons des récits historiques en fonction de ce qui nous intéresse, même si nous les analysons objectivement
Cela implique un faillibilisme et pas un relativisme sceptique
Faillibilisme = «aucun point de vue ne peut prétendre à la vérité ultime»
Relativisme sceptique = «tous les points de vue se valent»
L’histoire partielle
n’est pas automatiquement biaisée (ipso facto = "par le fait même")
n’est pas le récit imaginaire d’une réalité imaginaire
—> elle est description méthodiquement contrôlée (elle s’appuie sur des sources, des faits, une logique d’analyse) de processus tels qu’ils apparaissent à la lumière d’une question généalogique (comment une idée, une institution ou un événement a évolué et s’est construit historiquement)
C’est quoi l”histoire-pour”?
=une histoire qui est écrite pour quelqu’un ou depuis un certain point de vue (e.g. l’histoire vue par les femmes, ou par les colonisés, etc.)
L’histoire-pour n’est pas fictions, MAIS?
Mise en perspective —> en combinant plusieurs points de vue, de façon rigoureuse, on peut mieux comprendre le passé et approfondir la connaissance historique
on peut étudier comment une certaine perspective a été construite
on peut comparer plusieurs perspectives pour aller plus loin dans la connaissance
Comment est-ce que la connaissance historique progresse?
Par la mise à l’épreuve des présupposés du présent au contact des résistances que lui opposent les documents du passé
Pour connaître le passé, il faut accepter qu’il soit différent de nous —> cette différence (ou étrangeté) nous oblige à changer de perspective, et c’est ce qui rend possible une compréhension historique authentique
La Wertfreiheit de Weber
=la «liberté par rapport aux valeurs» —> la capacité de l’historien à ne pas fausser les faits et les interprétations en fonction de ses propres valeurs
—> l’essentiel est ici la capacité à ne pas refouler les faits désagréables, qui heurtent les préférences de l’historien
La Wertfreiheit selon Isabelle Kalinowski
=la «non-imposition de valeurs»
—> Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit de s’engager
—> Cela veut dire qu’on ne doit pas faire de propagande (=forcer les autres à penser comme nous, cacher ce qui ne va pas dans notre version des faits
L’engagement (avoir une position, un point de vue, un intérêt):
une manière de se situer face à l’histoire ou à un sujet
exige un effort de compréhension de la réalité
Donc, un historien engagé doit?
Être capable de comprendre les idées et les valeurs des autres, même s’il n’est pas d’accord
Reconnaître des faits dérangeants ou désagréables, même s’ils vont contre ses propres convictions
B. L’histoire est-elle dirigée vers une fin?
Produire une histoire totale exigerait de se situer à la fin de l’histoire pour saisir la totalité de son cours
Est-ce que cette fin peut être connue?
Fut la conviction des «philosophies de l’histoire» (notamment Hegel): l’humanité était désormais parvenue à son âge «adulte» —> il était possible de ressaisir le cours de l’histoire dans sa nécessité d’ensemble, comme un développement progressif/dialectique des facultés humaines, de la liberté, de la raison, etc.
L’histoire leur semblait être un processus théologiquement orienté (=orienté selon une finalité) qui devait être compris à partir de sa fin (=à la fois son terme, sa direction et son but, son sens comme signification)
Beaucoup des «philosophies de l’histoire» (qui cherchent un sens global à l’histoire de l’humanité) viennent en fait d’idées religieuses chrétiennes
Selon Karl Löwith, ces pensées ont pour origine:
Saint Augustin (Ve siècle) :
Il voit l’histoire comme un conflit entre deux “cités”:
La Cité de Dieu = le royaume spirituel, le bien.
La Cité des Hommes = le monde terrestre, souvent tourné vers le mal.
—> Cela donne une vision de l’histoire comme combat moral, avec une direction et une fin divine
Joachim de Flore (XIIe siècle) :
Il croyait qu’après l’époque du Père (Ancien Testament) et du Fils (Jésus), viendrait une troisième ère: celle du Saint-Esprit
Cette époque serait une société parfaite, spirituelle, sans conflit, ni égoïsme.
En résumé
Karl Löwith montre que les grandes visions historiques (ex. : progrès, salut, fin de l’histoire) viennent souvent d’une origine chrétienne :
Chez saint Augustin: l’histoire est une lutte spirituelle
Chez Joachim de Flore: elle mène à une ère divine parfaite
—> Ces idées ont influencé les philosophies modernes de l’histoire, même si elles ne se disent plus religieuses
Même si on dit souvent que l’histoire ne peut pas être racontée totalement,
il existe des cas où une histoire est finie —> On peut en faire une reconstruction complète, car elle a eu un début+une fin clairs
Exemple de l’Empire romain: il est né, il a grandi, puis il s’est effondré
—> On peut donc étudier ce cycle complet, et en faire une histoire "clôturée" (=finie)
—> Il existe donc:
des dynamiques historiques longues, qu’on peut analyser sur plusieurs siècles.
des histoires terminées, qu’on peut reconstruire de façon complète, pas seulement comme "histoires-pour"
Nos sociétés pensent souvent, sans le dire ouvertement, que la démocratie libérale est la forme finale de la politique, comme si l’histoire avait un but (le progrès vers la liberté), et qu’on y était arrivé
Ce que dit Fukuyama:
Quand l’URSS s’est effondrée —> la démocratie libérale avait définitivement gagné —> Pour lui, il n’y aurait plus:
ni nouvelle idéologie révolutionnaire
ni changement de système politique profond
Donc, l’histoire était finie dans quel sens?
Non en ce sens qu’il ne se passerait plus rien, mais en ce sens:
qu’elle avait trouvé son point d’équilibre et son rythme de croisière
qu’elle ne connaîtrait plus de vraies révolutions
qu’elle n’inventerait plus de nouvelles formes politiques
qu’elle se contenterait de progresser dans le sens d’une extension, d’un approfondissement sans rupture du principe de la démocratie libérale
Donc, Fukuyama dit que?
Que les sociétés vont juste continuer à se perfectionner, sans ruptures, sans inventer de nouveaux systèmes politiques
L’idée selon laquelle la démocratie libérale est le point final de l’histoire est une illusion
Plusieurs phénomènes actuels contredisent cette vision trop optimiste d’un monde en paix, stable, et en progrès constant:
Crise écologique
Inégalités économiques
Montée des politiques identitaires
Incertitude technologique
Recul de la démocratie et retour de la guerre
Crise écologique
Les structures sociales actuelles reposent sur un développement destructeur (pollution, extinction des espèces, etc.) —> cela met en cause la viabilité même de nos sociétés dites “libérales”
Inégalités économiques
Contrairement aux promesses d’un monde unifié autour d’une “classe moyenne mondiale” (Bill Clinton), on observe:
Une précarisation des classes moyennes
Un enrichissement massif d’une petite élite
—> la promesse de progrès pour tous n’est pas tenue
La prédiction de Tocqueville (relayée par Raymond Aron en 1962 dans ses Dix-huit leçons sur la société industrielle) selon laquelle les classes moyennes domineraient, ne se réalise pas pleinement
Montée des politiques identitaires
Le consensus libéral est menacé par:
des nationalismes
des replis religieux ou xénophobes
—> comme l’avait anticipé Samuel Huntington dans son livre Le choc des civilisations (1996): l’avenir n’aurait pas la forme de paix mondiale
Incertitude technologique
Le progrès technologique, notamment dans les biotechnologies, échappe au contrôle humain —> des penseurs préviennent que l’homme pourrait devenir dépendant voire annexe à la technique:
Fukuyama dans son livre La Fin de l’homme (2002)
le philosophe Ellul et l’anthropologue Leroi-Gourhan
Donc, le futur n’est pas maîtrisable (contrairement au mythe du progrès linéaire)
Recul de la démocratie et retour de la guerre
La mondialisation économique n’a pas généré plus de démocratie ou de paix:
la démocratie recule
les guerres reviennent
les impérialismes s’affirment
Mais: un point de vue optimiste demeure
Le texte cite ensuite les contre-arguments optimistes, défendus par des auteurs comme Johann Norberg (Progress, 2016):
Oui, il y a des problèmes (écologie, inégalités, conflits) mais ce sont des phénomènes transitoires, liés à des ajustements
Les indicateurs globaux (réduction de la pauvreté, alphabétisation) continuent d’aller dans le bon sens
Les crises identitaires seraient des réactions violentes mais passagères à une mondialisation inéluctable
Conclusion de ce passage
Deux visions du monde opposantes:
La démocratie libérale comme stade final de l’histoire (vision optimiste et téléologique)
La réalité d’un monde instable, inégal, en crise écologique et politique (vision critique et ouverte)
—> Il nous invite à remettre en question l’idée de “fin de l’histoire” et à reconnaître que l’avenir reste incertain, ouvert, conflictuel, malgré certains signes de progrès
Pourquoi sont les critiques faites de la thèse de Fukuyama souvent superficielles?
Parce que elles négligent que la «fin de l’histoire» ne signifie pas la disparition des événements historiques ou des guerres mais uniquement l’impossibilité de dépasser la démocratie libérale dans une forme politique supérieure
La thèse de Fukuyama
Il n’y a pas de régime social et économique supérieur à celui d’une économie de marché encadrée par un État de droit —> cette thèse n’est pas réfutée par les possibilités de régression, non plus que par les demandes d’une régulation du capitalisme qui maintient l’existence d’une économie de marché
Fukuyama lui-même revient sur ses idées
En 2018, il plaide pour davantage de régulation économique, voire un retour du socialisme
En 2022, il admet l’échec du néolibéralisme et du néoconservatisme
—> Les partisans initiaux de la fin de l’histoire reconnaissent ses limites/ses échecs
Réinterprétation de la “fin de l’histoire”
Si l’histoire ne peut plus avancer, il ne reste que la régression comme seule dynamique possible —> l’idée de progrès est épuisée
Lévi-Strauss: la critique du “mythe de l’histoire”
Il dénonce l’idée que l’histoire ait un sens unique et linéaire
Sa critique préfigure en un sens la “fin de l’histoire”:
Pas comme un achèvement glorieux mais comme la fin de la croyance dans l’histoire elle-même
Peter Sloterdijk: «un monde où il se passe un nombre infini de choses, mais où rien ne peut plus faire histoire»
La même chose que La Fin des idéologies (1960) annoncée par Daniel Bell:
L’histoire continue matériellement (événements, faits), mais elle n’a plus de portée symbolique ou politique forte —> on ne croit plus que ces événements construisent un récit historique partagé
Lyotard et la “postmodernité”
Dans La Condition postmoderne (1979), Jean-François Lyotard affirme:
La fin des “grands récits” (comme le progrès, la révolution, le salut par la science…)
La Postmodernité =perte de foi dans une histoire universelle et rationnelle
—> L’humanité n’a plus de projet collectif qui oriente le cours de l’histoire
Mais… le paradoxe : la fin des récits devient un nouveau récit
Dire que l’on est dans une époque sans récit devient à son tour un “grand récit”
—> On parle alors de l’idéologie de la fin des idéologies: un discours totalisant qui prétend qu’il n’y a plus de totalisation possible
L’idée centrale de cette partie
Même Fukuyama semble revenir partiellement sur sa propre thèse
La “fin de l’histoire” ne signifie pas un état stable et positif, mais peut aussi désigner une époque où l’histoire n’a plus de direction, plus de sens commun, ni de projet collectif
—> C’est le cœur de la postmodernité, où l’on ne croit plus aux “grands récits” (progrès, révolution, salut collectif)
Conclusion simplifiée
Ce passage articule plusieurs critiques philosophiques autour de l’idée de fin de l’histoire:
Même Fukuyama reconnaît des erreurs
La fin de l’histoire peut vouloir dire fin du progrès et la fin du sens historique
Les penseurs comme Lévi-Strauss, Sloterdijk, Lyotard suggèrent que nous vivons la fin de la croyance dans l’Histoire (avec majuscule)
Mais cette posture postmoderne est aussi contradictoire: prétendre qu’il n’y a plus d’histoire, c’est encore faire de l’histoire...
La «fin de l’histoire» comme croyance occidentale
L’idée de la fin de l’histoire (où la démocratie libérale serait l’horizon indépassable de l’évolution politique) s’appuie sur une croyance dominante dans les sociétés libérales: l’absence d’alternatives crédibles à l’ordre capitaliste-démocratique
Cette croyance est formulée par:
François Furet dans son livre Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXème siècle (1995): «l’idée d’une autre société est devenue presque impossible à penser»
Fredric Jameson: «il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme»
Une thèse déjà critiquée par Marx
Marx dénonçait dans Misère de la philosophie (1847) la naturalisation du capitalisme par les économistes bourgeois —> ce qu’ils présentent comme naturel et éternel est en réalité historique et transitoire
Pour Marx, prétendre que les rapports bourgeois sont des lois naturelles revient à nier l’histoire —> il y a eu de l’histoire, mais le capitalisme cherche à se présenter comme sa fin
Fukuyama a repris sa thèse de la fin de l’histoire à Alexandre Kojève
Ce philosophe (dans sa publication en 1947) avait annoncé la fin de l’histoire comme la mort de l’homme
Pour Kojève, la fin de l’histoire signifiait?
«la cessation de l’Action» —> «la disparition des guerres et des révolutions sanglantes»
ll décrivait cette fin en termes explicitement empruntés à Marx, la lutte des classes disparaissait au profit d’une société où les hommes
n’étaient plus en conflit
«travaillaient le moins possible»
se consacraient à l’art, l’amour, le jeu (bref, tout ce qui rend l’Homme heureux)
Mais cette description était étrangement équivoque
Il était difficile de savoir si la fin de l’histoire était constituée par:
le communisme, la «société sans classes» prophétisée par Marx
la démocratie capitaliste telle qu’elle existait aux USA
Que dit Kojève en 1967 sur la fin de l’Histoire?
Il dit que la fin de l’Histoire, selon la pensée hégélo-marxiste, n’est pas dans le futur mais déjà réalisée au moment où il écrit
la bataille d’Iéna (1806) c’est le moment symbolique où l’Humanité aurait atteint le but final de son évolution historique (comme Hegel le pensait déjà)
Que s’est-il passé après la bataille d’Iéna, selon Kojève?
Il n’y a plus eu de vrais changements historiques, seulement une expansion spatiale de la révolution universellecommencée en France (Robespierre–Napoléon)
À quoi ont servi les deux guerres mondiales?
Elles ont permis aux civilisations "retardataires" de se rapprocher des sociétés européennes les plus avancées, en diffusant leurs modèles
Que pense Kojève de la Russie soviétique et de la Chine communiste?
Ce sont pour lui des étapes de transition, comme d’autres évolutions historiques (ex. : indépendance du Togo ou démocratisation de l’Allemagne)
—> Qu’ont-elles de particulier?
Leur modèle (inspiré du bonapartisme robespierrien) pousse l’Europe post-napoléonienne à aller plus vite dans la suppression de ses restes du passé pré-révolutionnaire
En quoi les États-Unis sont-ils importants dans sa vision?
Kojève considère que les USA ont déjà réalisé le “communisme” marxiste, au sens où chaque individu peut y consommer librement sans devoir trop travailler
Que montre son expérience personnelle?
Après plusieurs voyages entre 1948 et 1958, il conclut que:
les Américains sont des "Sino-soviétiques riches"
les Russes/Chinois des Américains pauvres en voie de rattrapage
Que devient le mode de vie américain dans cette vision?
Il représente le style de vie post-historique et le futur universel de toute l’Humanité: une vie stable, confortable, sans grands conflits ni évolutions
Quel modèle alternatif Kojève voit-il au Japon?
ll découvre une société post-historique différente:
Au lieu de consommer passivement (comme aux USA), les Japonais vivent dans un jeu raffiné avec les formes
—> une existence plus esthétique que matérielle
Pourquoi ce modèle le marque-t-il?
Parce qu’il montre qu’on peut vivre la fin de l’Histoire autrement que par le confort matériel et la consommation