Séance 4 – genre politique et société

Séance 4 – Première Partie : La Dichotomie de Genre et l’Exclusion des Femmes de la Sphère Politique

La dichotomie entre les sexes est souvent associée à une séparation très nette entre le masculin et le féminin. Ce clivage a été renforcé par les régimes politiques et les théories philosophiques qui ont historiquement exclu les femmes de la sphère publique. Grâce aux études de genre, il est désormais possible de revisiter ces savoirs et de comprendre que cette exclusion ne résultait pas d’un "retard" de la société, mais bien d’un ordre construit et structuré.

John Locke et Jean-Jacques Rousseau, deux penseurs majeurs du libéralisme et du républicanisme, illustrent cette conception de l’ordre politique qui repose sur la subordination des femmes dans la sphère privée.

Locke et la séparation entre sphère privée et sphère publique

Dans son Traité du gouvernement, Locke établit une distinction claire entre la sphère politique et la sphère privée. Pour lui, la vie politique repose sur des individus libres et égaux, mais cette égalité ne s’applique pas à la sphère familiale, qu’il considère comme un espace "naturel".

Carole Pateman souligne que Locke exclut les femmes de son raisonnement : la domination du mari sur son épouse est une évidence pour lui et constitue une conséquence logique de l’ordre politique. Ainsi, les femmes sont exclues du statut d’individu à part entière. Le contrat social qu’il imagine concerne uniquement les hommes, consolidant ainsi leur domination.

Rousseau et la naturalisation des rôles de genre

Dans Du Contrat Social (1762), Rousseau définit la liberté comme l’engagement actif dans la vie politique. Cependant, selon lui, cet engagement est réservé aux hommes. Il établit une dichotomie très marquée entre les sexes : l’homme est voué à la raison et à la participation à la société, tandis que la femme est assignée à la nature et à la sphère domestique.

Rousseau légitime la domination des hommes sur les femmes en expliquant qu’elle repose sur des différences naturelles. Pour lui, hommes et femmes doivent recevoir une éducation distincte, adaptée à leur rôle "naturel". Les femmes doivent être éduquées à la pudeur, à la grâce et à la sociabilité, afin d’assurer leur fonction de mères et d’épouses. Les hommes, en revanche, sont préparés à la vie publique et aux loisirs intellectuels.

Un consensus implicite sur l’exclusion des femmes

Bien que Locke et Rousseau aient des visions différentes de l’organisation politique, ils ont en commun de considérer les femmes comme exclues de la sphère publique. Cette exclusion leur paraît si naturelle qu’ils ne ressentent pas le besoin de la justifier explicitement. Ainsi, il n’y a pas de contradiction apparente entre leurs théories de l’égalité entre citoyens et l’infériorisation des femmes dans la vie privée.


Séance 4 – Deuxième Partie : Le Paradoxe de l’Exclusion des Femmes dans un Pays des Droits de l’Homme

La France, pays des Droits de l’Homme, présente un paradoxe : tout en se revendiquant comme le berceau des libertés et de l’égalité, elle a historiquement participé à l’exclusion des femmes de l’espace public.

L’exclusion des femmes sous l’Ancien Régime et la Révolution

Sous l’Ancien Régime, les femmes étaient écartées de la vie politique. La loi salique interdisait aux femmes d’hériter du royaume, bien qu’elles aient parfois joué un rôle dans les affaires politiques, notamment dans l’aristocratie. Entre le XVe et le XVIIe siècle, certaines reines ont exercé un pouvoir d’influence, mais toujours dans un cadre où la distinction entre sphère publique et privée restait floue.

Avec la Révolution française, les femmes ont participé aux soulèvements populaires et ont même créé des clubs féminins. Pourtant, dès 1789, elles sont exclues du nouveau cadre politique. La Constitution de 1791 instaure une distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs : les femmes sont assimilées aux enfants et aux étrangers, avec des droits civiques mais sans droits politiques, notamment celui d’être élues. Elles sont perçues comme fragiles et instables, incapables d’exister en dehors de la sphère familiale.

L’exclusion politique des femmes se renforce avec le décret de 1793 qui interdit les clubs féminins. Joan Scott met en lumière l’ethos masculin de la sphère publique : la culture des salons littéraires féminins, bien que florissante, est progressivement dévalorisée.

Une double subordination des femmes

Le Code civil de Napoléon institutionnalise la subordination des femmes à leur mari. Ainsi, malgré des avancées juridiques, leur statut reste très faible. Elles sont non seulement privées de droits politiques, mais aussi soumises au pouvoir de leur époux dans la sphère privée.

Quelques figures comme Condorcet, Olympe de Gouges, Mary Wollstonecraft et John Stuart Mill dénoncent cette exclusion et plaident pour le suffrage féminin. Cependant, leur discours repose sur une contradiction : d’un côté, elles revendiquent une égalité totale entre hommes et femmes ; de l’autre, elles mettent en avant des qualités spécifiques aux femmes pour justifier leur inclusion. Ce dilemme, mis en lumière par Carole Pateman, illustre l’impasse de l’inclusion politique des femmes :

  • Soit elles revendiquent une égalité absolue, au risque de nier leur expérience de femmes.

  • Soit elles insistent sur leur spécificité, ce qui les cantonne à la sphère privée et à une citoyenneté de second rang.

Deux grandes périodes de l’histoire de la participation politique des femmes

On distingue deux grandes phases dans l’histoire de la participation politique des femmes :

  1. Jusqu’aux années 1950 : L’accès des femmes à la vie politique est limité et encadré par des contraintes spécifiques, ce qui entraîne une participation inégale entre hommes et femmes.

  2. À partir des années 1980 : De nouvelles critiques émergent, mettant en évidence l’échec d’une simple inclusion des femmes dans un cadre politique masculin. L’enjeu devient alors de repenser la politique en intégrant la notion de genre comme construction sociale et politique.

Vers une nouvelle approche de la citoyenneté

Pour dépasser cette impasse, il est nécessaire de redéfinir les concepts politiques et les pratiques publiques à travers le prisme du genre. De nombreux domaines – l’État, la démocratie, les politiques publiques – sont en réalité structurés par un biais masculin. Il ne s’agit donc plus seulement d’inclure les femmes dans des institutions préexistantes, mais de repenser ces institutions elles-mêmes afin de les rendre véritablement égalitaires.

Citoyenneté et droits : une évolution en trois âges selon Marshall

T.H. Marshall définit la citoyenneté comme l’ensemble des droits et des devoirs accordés aux individus, leur permettant de participer à la vie politique et sociale. Cependant, il existe un écart entre la citoyenneté théorique et sa réalité historique, notamment en lien avec la démocratie et l’inclusion des différentes catégories de population.

Dans Citizenship and Social Class (1950), Marshall distingue trois âges de la citoyenneté, correspondant à l’accumulation progressive de trois types de droits :

  1. Le premier âge (XVIIe-XVIIIe siècle) : les droits civils

    • Il s’agit des droits fondamentaux liés aux libertés individuelles : liberté d’expression, de pensée, droit à la propriété, égalité devant la loi.

    • Ces droits garantissent une protection contre l’arbitraire, notamment à travers les tribunaux.

  2. Le deuxième âge (XIXe - début XXe siècle) : les droits politiques

    • Apparition du suffrage universel, droit de vote et d’éligibilité.

    • Accès progressif des citoyens aux instances politiques (parlement, conseils municipaux, etc.).

  3. Le troisième âge (fin XIXe-XXe siècle) : les droits sociaux

    • Mise en place de l’État-providence et de la protection sociale.

    • Développement des droits économiques et sociaux (assurance maladie, retraite, chômage, etc.).

    • Robert Castel souligne cependant que l’acquisition de ces droits sociaux est souvent conditionnée par le travail salarié, excluant ainsi certaines populations, notamment en période de chômage.

Marshall considère ce dernier âge comme l’étape suprême de la citoyenneté, réalisant une forme d’égalité sociale. Cependant, certains critiques, notamment les multiculturalistes, estiment qu’un quatrième âge de la citoyenneté devrait être pris en compte : la citoyenneté culturelle. Celle-ci repose sur la reconnaissance des identités culturelles (langue, traditions, minorités ethniques) et remet en cause l’universalité du modèle proposé par Marshall.

Critiques et limites du modèle de Marshall

  • Un modèle anglo-saxon : L’évolution des droits décrite par Marshall s’applique bien aux pays anglo-saxons, mais moins à d’autres modèles comme l’Allemagne (où les droits politiques ont précédé les droits civils) ou la France (où la citoyenneté s’est fondée sur un modèle civil et politique dès la Révolution).

  • Universalité remise en question : L’idée d’une progression linéaire des droits ne correspond pas à toutes les réalités historiques. L’accès aux droits n’a pas été le même pour tous les citoyens et citoyennes.

  • Différences de genre : L’histoire de la citoyenneté des femmes suit un chemin différent de celui des hommes. Dans certains pays (Royaume-Uni, États-Unis), les femmes ont obtenu leurs droits civils avant les droits politiques, alors que dans d’autres cas, c’est l’inverse. Ce constat remet en cause l’idée d’un modèle unique d’accès à la citoyenneté.

Pauvreté, exclusion et citoyenneté incomplète

L’un des enjeux majeurs de la citoyenneté est son accessibilité réelle. La question n’est pas seulement de savoir si un droit existe, mais aussi s’il peut être effectivement exercé. Or, certaines inégalités empêchent une partie de la population de faire valoir ses droits, notamment en raison de la précarité économique, du chômage ou de l’exclusion sociale.

Robert Castel souligne que la protection sociale repose principalement sur le travail salarié. Ceux qui sont en dehors de ce cadre, comme les chômeurs de longue durée ou certaines populations marginalisées, se retrouvent dans une situation de citoyenneté incomplète, où leurs droits sont théoriquement reconnus mais difficilement accessibles dans la pratique.

En définitive, la citoyenneté ne peut être pensée uniquement comme une accumulation progressive de droits. Elle doit aussi être analysée à travers les inégalités d’accès et les formes d’exclusion qui persistent, même dans les démocraties modernes.

Exclusion, inégalités et citoyenneté : une analyse politique et féministe

L’exclusion sociale peut entraîner une rupture dans l’identité citoyenne. Lorsqu’un individu perd ses droits sociaux, il est plus susceptible d’être également exclu du champ politique. Par exemple, une personne sans domicile fixe (SDF), faute d’adresse, ne peut pas être inscrite sur les listes électorales, ce qui limite son accès à la participation démocratique.

Cependant, la précarité ne signifie pas nécessairement une rupture totale avec la citoyenneté. Des études sociologiques montrent que l’exclusion sociale n’empêche pas toujours les individus d’avoir des connaissances et des opinions politiques. Une enquête réalisée en 2010 met en évidence que les personnes en situation d’exclusion sociale adoptent des comportements politiques très contrastés : certaines sont totalement détachées du politique, tandis que d’autres développent une forte conscience des inégalités et une politisation accrue.

L’inégalité sociale engendre donc une inégalité politique, en limitant la capacité de participation de certaines catégories de population. Cette question a été abordée en plusieurs vagues de réflexion :

  1. Première vague : prise de conscience des inégalités sociales et politiques

    • Les travaux sur les classes sociales ont montré que les catégories les plus défavorisées ont un accès plus limité à la participation politique.

    • Les mécanismes d’exclusion économique tendent à se traduire par une moindre implication électorale et civique.

  2. Deuxième vague : le féminisme et l’inégalité dans la citoyenneté

    • Le féminisme américain des années 1960, porté par des figures comme Betty Friedan (The Feminine Mystique), s’inspire des courants égalitaires pour revendiquer une participation égale des femmes au marché du travail et à la vie politique.

    • Friedan critique notamment l’assignation des femmes au rôle de ménagères et leur dépendance économique vis-à-vis de leur mari.

Féminisme libéral vs féminisme matérialiste : deux perspectives sur l’inégalité des femmes

Deux grandes approches féministes se distinguent dans l’analyse des inégalités de genre :

  • Le féminisme libéral, porté par des penseuses comme Friedan, met l’accent sur l’accès des femmes aux mêmes opportunités que les hommes, notamment dans l’éducation et le travail.

  • Le féminisme matérialiste, en revanche, va plus loin en dénonçant la division sexuelle du travail et en plaçant le travail domestique au cœur de l’oppression des femmes.

Daniel Kergoat, par exemple, met en lumière le travail invisible réalisé par les femmes dans la sphère privée :

  • Le travail domestique et la charge mentale sont essentiels au fonctionnement de la société, mais ne sont ni rémunérés ni reconnus économiquement.

  • Ce travail gratuit contribue pourtant indirectement au PIB, en permettant aux hommes de se consacrer pleinement à leur activité professionnelle.

Ces analyses convergent vers un même constat : les tâches invisibles accomplies par les femmes sont dévalorisées dans une économie patriarcale, ce qui perpétue les inégalités de genre dans la citoyenneté et la participation politique.

Conclusion : inégalités et citoyenneté de second rang

Que ce soit à travers l’exclusion sociale ou la division sexuelle du travail, certains groupes se retrouvent dans une citoyenneté de second rang, où leur accès aux droits et à la participation politique est limité. Le féminisme et les études sur la précarité montrent que l’égalité formelle (avoir des droits) ne garantit pas une égalité réelle (pouvoir les exercer).

Les critiques contemporaines appellent donc à repenser les politiques publiques pour mieux intégrer ces dimensions d’exclusion et de domination, afin de construire une citoyenneté plus inclusive.

 

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