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LA SCIENCE DIT-ELLE TOUTE LA VÉRITÉ ? Photo : La Bocca della Verità, c'est-à-dire « Bouche de la Vérité », est une ancienne sur marbre (Ier siècle apr. J.-C.), murée dans la paroi de l'église Santa Maria in Cosmedin de Rome. Ce disque est devenu célèbre en vertu de la légende selon laquelle la Bouche de la Vérité aurait tranché la main de tous ceux qui ne disaient pas la vérité. PERSPECTIVE : La connaissance/L’existence humaine et la culture/La morale NOTIONS : vérité/science/religion/langage/art/raison/nature/bonheur REPÈRES : intuitif/discursif – absolu/relatif – hypothèse/conséquence/conclusion – objectif/subjectif/intersubjectif – universel/général/particulier/singulier- nécessaire/contingent INTRODUCTION I. LES CRITÈRES DE LA VÉRITÉ II. LA VÉRITÉ MULTIPLE III. LA VALEUR DE LA VÉRITÉ CONCLUSION

INTRODUCTION

La science dit-elle toute la vérité ? Quelle signification donner à cette question ? La

science « parle »-t-elle d’ailleurs ? Que comprendre par cette forme de

personnification ?

- ANALYSER UNE NOTION : LE LANGAGE

→ Distinguer langage, langue, communication et parole (Manuel p. 212 : Ex. 2)

« Parler », c’est d’une part émettre des sons (langue) et, d’autre part, exprimer des

idées, des sentiments, des intentions, etc. Si la science parle donc, c’est en ce sens

qu’elle exprime une pensée à travers des hypothèses, des théories, des

démonstrations. La science possède, on l’a vu et on le sait pour ceux qui ont étudié

les sciences physiques, naturelles, économiques, humaines, un langage : il existe

pour chaque science un langage qui lui est propre. Est-ce là le problème, non, pas

tout à fait.

Le problème ici ne sera pas seulement d’ordre épistémologique (la connaissance)

que logique et éthique (la morale), dans le sens de la formule du serment dans les

tribunaux (« je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ») fait par un

témoin qui atteste de la réalité d’un fait. Cette connaissance est-elle donc un

témoin fiable de la réalité ? Quel discours tient-elle sur la réalité et celui-ci est-il

conforme à ce qui est (le réel) ? Et celui-ci exprime-t-il la totalité, l’intégralité de la

connaissance humaine (« toute ») ? Enfin, exprime-t-elle la totalité de ses

intentions/motivations à travers ses recherches ?

En effet, dans la langue courante, on qualifie de « vrais » ou « faux » aussi bien des

énoncés que des choses, des événements, des situations. Mais ce n’est pas de la

même façon qu’un énoncé (le langage) ou une chose (la réalité – res) sont vrais ou

pas :

- l’énoncé « La terre tourne autour du soleil » est vrai jusqu’à preuve du

contraire.

- L’énoncé « Elle porte un collier de fausses perles », en revanche, ne signifie

pas que les « fausses perles » ne soient pas réelles. Elles existent bel et bien

aussi. Ce qui change c’est le jugement que l’on porte et exprime sur elles, sur

leur nature (vraies ou fausses) et non pas leur réalité.

La question de la vérité porte donc sur les représentations et les jugements (cad des

idées ou des paroles) que nous nous faisons des choses, c’est-à-dire de la réalité,

plus exactement sur la conformité de notre pensée au réel à travers le langage

C’est pourquoi on définit classiquement et philosophiquement la vérité comme

l’adéquation entre la chose et l’esprit (veritas est adaequatio rei et intellectus selon

la formule de Thomas d’Aquin au Moyen Âge) cad une représentation conforme

au réel, ce dernier étant tout ce qui existe par opposition à ce que l’on peut

imaginer (irréel ou fictif). Il ne faut donc pas confondre vérité et réalité. Ex. : Des faux

papiers sont encore des papiers de même qu’un faux tableau ou de faux ongles. Ils

existent, ils sont réels mais pas conforme à l’idée que l’on s’en fait.

- ANALYSER UNE NOTION : LE LANGAGE

→ Distinguer vrai, faux, réel et irréel (Manuel p. 446 : Ex. 1)

Il doit y avoir adéquation entre le discours ou la pensée et la réalité cad accord ou

encore correspondance, voilà pourquoi on nomme ce critère la vérité -

correspondance. La vérité, contrairement à la réalité, ne porte donc pas sur la

chose même mais sur la représentation que nous en avons et l’expression que nous

en formulons.

Seuls donc un discours (logos) ou une pensée (intellectus) peuvent donc être dits

« vrai(e) » ou « faux » en fonction de leur correspondance avec la réalité d’une part,

et de leur cohérence avec eux-mêmes d’autre part. La vérité a donc une double

exigence c’est-à-dire à la fois :

1. Dire la vérité sur la réalité cad lui correspondre sans pour autant demeurer

forcément dans le domaine sensible.

La vérité est indissociable de la réalité qu’elle représente.

2. Être formellement, dans ses propositions c’est-à-dire son discours, cohérente,

obéissant aux principes de la logique.

La vérité est indissociable du langage qui l’exprime.

Si la vérité n’est pas inscrite dans la réalité des choses, ce qui serait bien plus simple

car nous éviterait de la chercher, mais dans les jugements portés sur cette

réalité quels sont donc les critères, c’est-à-dire les moyens qui nous permettraient

de la connaître ou reconnaître ? Comment, en somme, distinguer le vrai du faux ?

Ensuite, l’autre problème que pose la vérité suite à sa crise moderne, c’est celui de

sa multiplicité et l’interrogation sur la possibilité de l’atteindre ou de l’atteindre

complètement du fait de cette multiplicité. Soit on la pluralise (vérité plurielle), soit

on la relativise (vérité relative), soit on la nie (nihilisme). Enfin dernière question, qui

pose la vérité comme problème c’est-à-dire s’interroge sur sa valeur. Qu’est-ce que

cache la volonté de vérité, sa recherche ? Pourquoi la poser au-dessus de tout,

comme valeur suprême, un bien valant plus que ses contraires, le mensonge,

l’illusion ou l’erreur, ou d’autres valeurs

I. LES CRITÈRES DE LA VÉRITÉ

La vérité se distingue à la fois de l’erreur, du mensonge et de l’illusion qui sont

d’autres formes de représentations possibles du réel :

§ L’erreur consiste à se représenter le réel en se trompant involontairement, et

semble possible parce que la vérité ne nous est pas donnée d’emblée dans la

réalité. Ex. : Descartes et le bâton rompu. → la perception nous nous montre le

bâton rompu dans l’eau, mais elle ne correspond pas à la réalité. C’est illusion

optique qui devient une erreur si on pense ou affirme qu’il est « réellement »

rompu.

§ Le mensonge consiste à tromper volontairement cad à affirmer le contraire de

ce que l’on pense être vrai.

§ L’illusion représente une erreur volontaire reposant sur un désir. Contrairement à

l’erreur elle n’est pas nécessairement fausse puisque le désir pourrait se réaliser.

1°) La vérification (vérité-expérience) :

Pour s’assurer du vrai il faudrait pouvoir vérifier cette adéquation entre l’idée et la

réalité. C’est un critère de la vérité scientifique. Par exemple une hypothèse

scientifique doit pouvoir être vérifiée pour être validée et acquérir alors le statut de

vérité. C’est l’expérience permet de vérifier l’adéquation d’une idée ou hypothèse

à la réalité. Ex. : Galilée fait rouler deux boules sur un plan incliné pour vérifier la

théorie selon laquelle la vitesse de la chute des corps est constante et

indépendante du poids.

- COMPRENDRE LES CONCEPTS CLÉS (REPÈRES) :

→ Distinguer hypothèse, conséquence et conclusion (Manuel p. 344 : Ex. 3)

Voilà pourquoi la science – le physiologiste Claude Bernard (1813-1878) en

particulier dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale publié en

1865 – a mis au point ce que l’on appelle une « méthode expérimentale » se

déroulant en trois étapes partant des faits pour y retourner :

a) l’observation : observer sans idées préconçues pour permettre à l’esprit de partir

des faits

b) l’hypothèse : à la suite de l’observation, l’esprit produit des idées cad envisage

des hypothèses afin d’expliquer la cause du fait observé. On appelle aussi cette

étape induction cad partir d’un fait particulier pour en tirer une conclusion générale,

ce qui établit une loi dans le domaine scientifique ≠ déduction qui à l’inverse tire

une conclusion à partir d’une proposition générale, > la démonstration ;

c) l’expérimentation : enfin l’hypothèse doit être soumise à l’épreuve des faits et

cela passe par l’expérimentation cad une expérience conduite par l’esprit afin de

tester et vérifier ou non la vérité ou la vér

idicité de l’idée émise (la théorie)telles que l’utilité ou la beauté ?

I. LES CRITÈRES DE LA VÉRITÉ

La vérité se distingue à la fois de l’erreur, du mensonge et de l’illusion qui sont

d’autres formes de représentations possibles du réel :

§ L’erreur consiste à se représenter le réel en se trompant involontairement, et

semble possible parce que la vérité ne nous est pas donnée d’emblée dans la

réalité. Ex. : Descartes et le bâton rompu. → la perception nous nous montre le

bâton rompu dans l’eau, mais elle ne correspond pas à la réalité. C’est illusion

optique qui devient une erreur si on pense ou affirme qu’il est « réellement »

rompu.

§ Le mensonge consiste à tromper volontairement cad à affirmer le contraire de

ce que l’on pense être vrai.

§ L’illusion représente une erreur volontaire reposant sur un désir. Contrairement à

l’erreur elle n’est pas nécessairement fausse puisque le désir pourrait se réaliser.

1°) La vérification (vérité-expérience) :

Pour s’assurer du vrai il faudrait pouvoir vérifier cette adéquation entre l’idée et la

réalité. C’est un critère de la vérité scientifique. Par exemple une hypothèse

scientifique doit pouvoir être vérifiée pour être validée et acquérir alors le statut de

vérité. C’est l’expérience permet de vérifier l’adéquation d’une idée ou hypothèse

à la réalité. Ex. : Galilée fait rouler deux boules sur un plan incliné pour vérifier la

théorie selon laquelle la vitesse de la chute des corps est constante et

indépendante du poids.

- COMPRENDRE LES CONCEPTS CLÉS (REPÈRES) :

→ Distinguer hypothèse, conséquence et conclusion (Manuel p. 344 : Ex. 3)

Voilà pourquoi la science – le physiologiste Claude Bernard (1813-1878) en

particulier dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale publié en

1865 – a mis au point ce que l’on appelle une « méthode expérimentale » se

déroulant en trois étapes partant des faits pour y retourner :

a) l’observation : observer sans idées préconçues pour permettre à l’esprit de partir

des faits

b) l’hypothèse : à la suite de l’observation, l’esprit produit des idées cad envisage

des hypothèses afin d’expliquer la cause du fait observé. On appelle aussi cette

étape induction cad partir d’un fait particulier pour en tirer une conclusion générale,

ce qui établit une loi dans le domaine scientifique ≠ déduction qui à l’inverse tire

une conclusion à partir d’une proposition générale, > la démonstration ;

c) l’expérimentation : enfin l’hypothèse doit être soumise à l’épreuve des faits et

cela passe par l’expérimentation cad une expérience conduite par l’esprit afin de

tester et vérifier ou non la vérité ou la véridicité de l’idée émise (la théorie).

2°) La démonstration (vérité-cohérence) :

Le problème qui se pose ici est celui de juger de la vérité ou véracité d’un propos

ou d’une pensée lorsqu’aucune « réalité » (sous-entendu sensible ou visible) ne

correspond à son énoncé ? Ex. : les objets géométriques tel que la droite (infinie par

déf.) ou le point (sans épaisseur par déf.) n’existent pas « réellement » dans le

monde. Comment ainsi prétendre que les mathématiques soient vraies car tous ses

énoncés sont déduits d’hypothèses qui ne sont pas expérimentalement vérifiées. Ou

encore, pour le dire avec les mots provocateurs du mathématicien et philosophe

Bertrand Russel (1872-1970) :

« La mathématique [pure] peut être définie comme le domaine dans

lequel nous ne savons jamais de quoi nous parlons, ni si ce que nous

disons est vrai. » Recent work in the philosophy of mathematics

C’est que les mathématiques sont selon lui « hypothético-déductives » : elles se

contentent d’établir que si telle proposition (A) concernant telle chose est vraie,

alors telle autre proposition (B) concernant cette chose est vraie. Elles démontrent

que « A entraîne B ». Mais le fait de savoir si la première proposition A est vraie ne

relève pas des mathématiques, pas plus de savoir ce qu’est cette chose, ni même

si elle existe. « Hypothético-déductives » signifie qu’elles procèdent à la fois à partir

d’une hypothèse (cad de propositions ou postulats, définitions, axiomes) que l’on

accepte comme telle, puis en déduire les conséquences logiques cad d’autres

propositions. Le raisonnement pour être vrai ici doit être cohérent avec lui-même,

cad conforme aux règles de la logique formelle cad indépendamment du contenu

matériel. C’est ce que l’on appelle la preuve déductive qui ne s’intéresse qu’à la

vérité logique du raisonnement. Ex. : Un triangle a trois angles. L’idée de trois angles

est déjà contenue dans la définition du triangle mais elle ne fait que le déduire.

C’est une preuve par la démonstration rationnelle ou le raisonnement démonstratif

qui est appelé syllogisme par Aristote.

Le propre de la démonstration est de procéder de manière exclusivement discursive

cad par l’intermédiaire d’un raisonnement ≠ intuitive cad directement et

immédiatement sans raisonner (REPÈRES).

Démontrer, c’est raisonner de telle sorte que la conclusion ne puisse être autre cad

qu’elle est nécessaire. D’où sa valeur de connaissance vraie puisqu’elle s’affirme

avec certitude, mais une certitude toute logique. En effet, la force de la

démonstration repose sur son caractère déductif : la proposition conclue comme

certaine est déjà contenue dans les propositions précédentes dont elle n’est qu’un

cas particulier. L’exemple de ce raisonnement déductif nous est fourni par le

syllogisme.

Le syllogisme : il s’agit d’un raisonnement dans lequel on va du général au

particulier en trois étapes, trois propositions du type

Exemple :

1°) Tous les hommes sont mortels.

2°) Or Socrate est un homme.

3°) Donc Socrate est mortel »

La conclusion est donc bien déduite des deux propositions antérieures : Socrate est

compris dans l’ensemble des hommes, lequel ensemble comprend tous les mortels.

On appelle la première proposition la (prémisse) majeure, la seconde (la prémisse)

mineure, la troisième la conclusion.

Formalisé de la manière suivante : Tout A est B. Or tout C est A. Donc tout C est B.

3°) L’évidence et l’intuition (vérité-coïncidence) :

Le problème de la cohérence nous met cependant en face d’un problème :

comment parvenir à ces postulats, axiomes ou propositions qui justifient et

soutiennent la démonstration ? C’est la question, déjà posée par Blaise Pascal, des

« premiers principes » (→ Leçon 5, chap III, 3) ou selon René Descartes des « vérités

premières ». Comment reconnaître, caractériser, définir le jugement vrai ?

La réponse la plus simple est celle-ci : le jugement vrai se reconnaît à ses caractères

intrinsèques, il se révèle vrai par lui-même, il se manifeste par son évidence.

« La vérité norme d’elle-même et du faux » selon Baruch Spinoza (1632-1677) dans

l’Ethique (Þ TXT 1, Manuel Bordas, p. 450).

Cette identification de la vérité et de l’évidence se trouve aussi chez Descartes, qui

se fixe dans le Discours de la méthode comme première règle de n’accepter

comme vrai que ce qui se donne clairement et distinctement pour vrai :

« Ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en ceci : je pense, donc je suis,

qui m’assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que,

pour penser, il faut être, je jugeai que je pouvais prendre pour règle

générale, que les choses que nous concevons fort clairement et fort

distinctement sont toutes vraies »

Discours de la méthode, IV.

Pour Spinoza comme pour Descartes, une idée qui s’impose directement et

précisément, sans confusion avec une autre, est une idée vraie, et il n’y a pas à

chercher plus loin... Cette évidence n’est cependant pas accessible par la

déduction et la connaissance appelée discursive, ni par l’induction à partir des faits,

cad de l’expérience car celle-ci n’est possible que fondée en raison, à savoir sur

une hypothèse et des axiomes non démontrés et non démontrables.

Nos connaissances rationnelles reposeraient alors, paradoxalement, sur une

méthode non scientifique : l’intuition, que Pascal, lui, nommait le « cœur » (→ Leçon

5, chap. III, 3). Cette faculté, l’intuition, que Henri Bergson définit dans La pensée et

le mouvant (1934) comme :

« La sympathie par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour

coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable »

L’intuition selon Bergson est en ce sens un mode de connaissance immédiat et

direct (une coïncidence sensible) par lequel la conscience saisit la réalité de

l’intérieur par coïncidence avec elle, contrairement à la connaissance discursive

qui est extérieure et introduit une distance. La première est concrète et temporelle

(le temps), la seconde, abstraite et atemporelle (une démarche logique).

- COMPRENDRE LES CONCEPTS CLÉS (REPÈRES) :

→ Comprendre la distinction entre intuitif et discursif (Manuel p. 396 : Ex. 1)

C’est sur l’intuition que la déduction va pouvoir également s’appuyer pour la

démonstration. L’une ne s’oppose donc pas à l’autre.

II/ LA VÉRITÉ MULTIPLE

1) La vérité provisoire

On voit donc que le modèle scientifique de la vérité, comme la raison qui le guide,

possède ses limites parce qu’il repose sur des hypothèses – par définition non

vérifiées donc toujours réfutables (c’est même le critère de la scientificité pour Karl

Popper qu’il nomme la « falsifiabilité ») – et ne s’appuyant pas toujours sur

l’expérience. D’ailleurs au lieu de vérité, il faudrait mieux parler de véridicité

scientifique tant cette vérité elle-même est sujette à transformation, provisoire,

comme le montre Russel dans Science et Religion (Þ TXT 5, Manuel, p. 454) en

comparant les deux domaines et mettant valeur le critère de vérité pratique ou

technique des théories scientifiques. Même cette vérité a perdu son caractère

absolu dans la science et dans la crise de la Modernité.

Cette crise est d’abord la crise d’un discours global et unique, totalisant et

imposant. Aujourd’hui même l’autorité du discours scientifique, naguère symbole

de la seule vérité, est remis en question face aux divergences et limitations. Il n’y a

pas dans le savoir de certitude absolue, c’est même la définition de la démarche

scientifique. On sait aujourd’hui, grâce à K. Popper (Þ Leçon 3 et TXT Manuel, p. 354-

357), que le progrès des sciences se fait justement par rectification plus que par

vérification. Les sciences (sciences de l’esprit et sciences de la nature) se font

concurrences entre elles, et même à l’intérieur d’elles-mêmes :

la physique classique (Newton) s’est vue concurrencée par la physique quantique

(Planck). Et peut-on dire de celle-ci (la physique théorique) qu’elle « correspond » à

la réalité lorsqu’elle attribue des propriétés uniquement mathématiques à des

entités, les quarks, qui ne sont pas observables ?

2) La vérité plurielle

Par ailleurs, cette vérité scientifique n’est pas la seule vérité qui vaille. Il y a des vérités

d’un autre ordre, cad métaphysique au sens propre cad au-delà de l’expérience

visible possible, des vérités d’ordre moral, voire spirituel ou religieux, etc. n’obéissant

pas à aux mêmes critères ou conjonction de critères. Sont-elles fausses pour

autant ? Non, pas forcément. Ces vérités (arts, religions, sentiments, etc.) ne sont

peut-être plus aussi objectives bien qu’elles rendent compte de certaines réalités,

différentes, puissent en revanche tendre à une certaine intersubjectivité ou même

universalité, bien qu’elles puissent être, d’une certaine manière, cohérentes sans

forcément être logiques, mais répondent à un besoin de signification, de donner un

sens à l’existence. Cette distinction permettrait de mieux appréhender le monde

réel dans la totalité physique et psychique, corporelle et spirituelle, une réalité

changeante et multiple.

Ainsi le philosophe anglais David Hume (1711-1776) différencie deux types de vérités

(Þ TXT et Ex.3, Manuel, p. 446). D’une part, les vérités de faits, contingentes dont le

contraire est possible et d’autre part, les vérités de raison, nécessaires, dont le

contraire est impossible. Hume fait ici une distinction fondamentale entre deux types

d’objets de connaissance : les « relations d’idées » et les « faits », qui correspondent

à deux types de vérités. Les premières s’acquièrent démonstrativement, les

secondes s’acquièrent empiriquement (c’est-à-dire par l’expérience).

On a vu qu’il existait également des vérités d’ordre métaphysique dont tentent de

rendre compte les croyances religieuses (La religion). Emmanuel Kant distingue

ainsi les sciences qui s’appuient sur l’expérience de la métaphysique qui échappe,

par définition, à toute expérience et dont les objets tels que l’existence de dieu,

l’immortalité de l’âme et la liberté relèvent donc de la croyance.

Croyance justifiée moralement mais non scientifiquement. Ce sont les postulats de

la raison pratique (→ Leçon 5, chap. III, 2).

Il y aurait même, également, des vérités objectives et subjectives. Ces dernières

portent sur notre intériorité ou exprime un point de vue personnel (du sujet) sur la

réalité. L’art, par exemple, traduit certains états d’âme ou sentiments ou sensations

qui ne peuvent être considérés comme faux même s’ils ne sont pas objectifs, ni

logiques ni démontrables (Þ TXT 6, Manuel, p. 455). Plus même, selon l’écrivain Marcel

Proust, l’art, et plus particulièrement la littérature :

« c’est la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par

conséquent pleinement vécue (…) »

On en arriverait donc à se demander si, finalement, la vérité est une notion relative

et multiple cad qu’elle dépend des domaines (scientifique ou métaphysique,

éthique ou esthétique), des sciences (physiques ou psychiques), des individus

(hommes ou femmes, enfants ou adultes, etc), des moments (matin ou soir), des

époques, des lieux, à savoir des cultures, si elle existe vraiment ?

3) Du doute à la négation de la vérité

- Le scepticisme. Le scepticisme, lui, qui naît avec Pyrrhon d’Elis (365-275 av. J.-C.)

et se poursuit jusqu’à Sextus Empiricus, son héritier au Ier-IIe siècle, va d’une certaine

manière plus loin sans énoncer de vérité mais en suspendant son jugement. Il doute

même de la capacité de la raison à atteindre la vérité et évite ainsi toute forme de

dogmatisme mais rend impossible toute forme de connaissance certaine (Þ TXT 4,

Manuel, p. 453).

- Le relativisme. Pour les relativistes, dont le plus important représentant a été le

sophiste Protagoras (490-420 av. J.-C.), la vérité n’existe pas dans un sens absolu

mais dans la relation à celui qui la perçoit (Þ TXT et Ex. 2, Manuel, p. 449).

« L’être humain est la mesure de toutes choses » selon sa célèbre formule que lui

attribue Platon dans le dialogue Protagoras. Chacun possèderait donc sa propre

vérité, et toutes se vaudraient, ce qui pourrait conduire à considérer que la vérité

objective n’existe pas en dehors d’un point de vue subjectif. Chacun voit les choses

à sa façon et juge de la vérité d’après ce qu’il voit et selon ce qu’il ressent. Entre le

vrai et le faux, il n’y a pas de réelle différence mais seulement une différence de

perspective : ce qui est vrai pour quelqu’un peut être faux pour quelqu’un d’autre,

et inversement. Tout dépend donc de la manière de regarder.

Mais le relativiste est lui-même contradictoire dans la mesure où il ne se relativise pas

lui-même cad qu’il énonce comme une vérité universelle/absolue qu’il n’existe pas

de vérité.

Mais relativisme et scepticisme, pris eux-mêmes comme des absolus ne risquent-ils

pas de conduire à une conclusion radicale : que la vérité n’existe pas ?

- Le nihilisme consiste à nier (nihil = rien) toute possibilité d’accéder à la vérité parce

qu’il n’existe rien de transcendant cad aucune valeur absolue ou supérieure ni

même relative. Si tout se vaut (relativisme), alors rien ne vaut (nihilisme), et tout est

permis pourrait être la conclusion de ce raisonnement.

Pour reprendre la formule de Dimitri dans Les frères Karamazov de l’écrivain russe

Fiodor Dostoïevski : « Que faire si Dieu n’existe pas, [...] Alors tout est permis ? »

Les frères Karamazov, 4e partie, Livre XI.

Nietzsche s’est très largement inspiré de cette citation, lorsqu’il définit le nihilisme

européen après l’événement de la « mort de Dieu » :

Þ TXT de Dostoïevski, Manuel, p. 332 et de Nietzsche : Gai savoir § 125 « L’insensé »

et §343 « Notre sérénité »

Tout est permis signifie aussi tout est possible. Ce qui est surtout possible après la

disparition des valeurs morales sur lesquelles reposait la société occidentale

chrétienne, c’est une critique de la vérité posée comme valeur suprême, divine,

« nouvelle » déesse après la mort de Dieu.

III/ LA VALEUR DE LA VÉRITÉ

1) La vérité dangereuse

Cette critique de la valeur de la vérité n’est pas la première. Au contraire, dans leur

sagesse millénaire, beaucoup de mythes anciens ou antiques expriment une

défiance envers la vérité et son caractère de dangerosité. Mieux vaut alors que la

Bouche de la Vérité (cf. illustration de couverture), comme dans la légende

romaine, reste silencieuse...

QUELQUES EXEMPLES :

Œdipe faisant son malheur, et se crevant les yeux, après avoir voulu trouver à tout

prix le responsable de la peste de Thèbes.

La boîte de Pandore, cadeau de Zeus à l’épouse d’Épiméthée pour se venger de

Prométhée. Malgré l’interdiction de l’ouvrir, et pour cause celle-ci contenait tous les

maux de l’humanité qui se répandirent sur terre : la maladie, la vieillesse, la misère,

l’orgueil, la folie, la passion, la tromperie, le vice, la guerre, la famine, etc.

Psychè qui regarde Eros (ou Orphée, Eurydice) en pleine lumière malgré

l’interdiction qui lui en a été faite et perd son amant.

Adam et Ève qui mangent du fruit défendu de l’Arbre de la connaissance espérant

« devenir comme des dieux »et qui sont chassés du Paradis terrestre.

Tous ces mythes semblent indiquer qu’il vaut mieux rester dans une certaine

ignorance au lieu de tout savoir ou voir si l’on veut vivre tranquillement (Bonheur).

D’ailleurs, la plupart des civilisations anciennes et traditionnelles ont tendance à

mettre d’autres valeurs au-dessus de la connaissance objective (Vérité). C’est

l’Occident qui en a surtout fait une valeur suprême, et par-dessus tout à partir des

Temps modernes dans sa dimension scientifique.

2) La vérité mortelle

Cette vérité recherchée comme idéal et comme unique idéal est un idéal que

Friedrich Nietzsche (1844-1900) qualifiera d’ascétique cad en son essence religieux

et expression d’une « volonté de néant ». Selon lui, la religion, la morale et même la

connaissance ou la science sont toutes trois liées par cet idéalisme en posant la

première le Divin, la deuxième le Bien, la troisième le Vrai comme des valeurs

métaphysiques à atteindre et comme des valeurs essentielles par-delà les

apparences. La foi en la vérité et encore et toujours une foi dans une valeur

métaphysique, à savoir dans un autre monde un « arrière-monde » dira aussi

Nietzsche : en ce sens la morale s’est substituée à la religion, puis la science à la

morale dans un processus de métamorphose de l’idéal ascétique. Þ Gai savoir §

344 et § 373.

C’est déjà selon lui une forme de nihilisme mais incomplet ou passif dans la mesure

où il ne va pas au bout de ces conséquences. Nihilisme parce qu’il dévalorise ce

monde-ci au profit d’un autre, métaphysique. Ce monde-là ne vaut rien. Il est faux,

illusoire. Il faut donc en inventer un autre, le vrai monde, le monde du vrai, seul

« réel » quoiqu’invisible.

Cette métaphysique est, dès Platon avec son dualisme (monde sensible/monde

intelligible), un nihilisme selon Nietzsche. Dans la dépréciation du monde sensible, il

y a une négation à peine cachée du sensible, cad de la vie telle qu’elle est :

diverse, multiple, incohérente, instable, chaotique, trompeuse, etc. C’est que

contre ce monde-ci, celui des soi-disant apparences que Platon va inventer un

monde des essences qui est un outre/autre monde possédant tous les attributs

supposés de la perfection : unité, stabilité, identité, vérité, etc. Dans le dualisme

établit par Platon entre monde intelligible et monde sensible, il y a donc déjà y a

tout le nihilisme futur dans la mesure où il dévalorise, et nie la valeur ce monde-ci.

Cette une façon négatrice et négative de penser le monde va aboutir aux idéaux

laïcisés du Progrès, la recherche du Bonheur-pour-tous pour finalement déboucher

sur un « grand dégoût », un nihilisme complet ou « achevé », qui déclare la mort de

Dieu cad de l’arrière-monde au § 125 du Gai Savoir

(https://www.youtube.com/watch?v=TBjzDdFU0K4). Ce que constate « l’insensé »

en annonçant la mort de Dieu, ce n’est pas la « simple » inexistence de Dieu comme

l’aurait fait tout athée, c’est son absence, l’absence de transcendance et donc de

sens de l’existence. Les noms de « Dieu », et de « Dieu chrétien » sont utilisés dans la

pensée nietzschéenne pour désigner le monde suprasensible en général. Dieu est

le nom du domaine des Idées cher à Platon, le monde du Vrai, le monde vraiment

réel. Voilà pourquoi Nietzsche dira également que « le christianisme est un

platonisme pour le peuple » (Par-delà bien et mal, préface, 1886).

Ce nihilisme achève vingt-cinq siècles d’histoire de la métaphysique occidentale

déterminée par la valeur de la vérité. Car ce que nous permet justement le nihilisme

selon Nietzsche, c’est de remettre en question cette survalorisation de la vérité.

« Dieu est mort » signifie en fait : le monde suprasensible s’est écroulé, la Vérité a

disparu. Mais que faire ensuite pour l’homme afin survivre à cette disparition ? telle

est la question…

3) L’art pour ne pas mourir de la vérité

La Vérité abolie, c’est l’opposition réalité/apparence qui est abolie, il ne reste plus

que les apparences comme « unique réalité ». L’apparence cad le corps, le

sensible, la beauté, les belles formes, l’illusion qui se substitue à la vérité. « Nous

avons l’art pour ne pas périr de la vérité » affirmera donc Nietzsche

(https://www.tiktok.com/@optilisme/video/7193369913975655685). L’art est selon lui

est anti-nihiliste par excellence et par définition puisqu’il est créateur, créateur de

valeurs et non destructeur, affirmation et non négation, volonté de puissance et non

volonté de néant. Nietzsche va proposer une autre vision du monde, un autre idéal,

esthétique plutôt que métaphysique, ou plutôt une autre expérience, artistique.

« Faire de sa vie une œuvre d’art ». C’est ce que le philosophe français Michel

Foucault (1926-1984) qualifiera d’« esthétique de l’existence » :

« Ce qui m’étonne, c’est le fait que dans notre société l’art est devenu

quelque chose qui n’est en rapport qu’avec les objets et non pas avec les

individus ou avec la vie (...). Mais la vie de tout individu ne pourrait-elle

pas être une œuvre d’art ? Pourquoi une lampe ou une maison sont-ils des

objets d’art et non pas notre vie ? » Dits et écrits

Cette expérience qualifiée de dionysiaque (en référence au dieu grec de l’ivresse

et de la vigne, Dionysos) par Nietzsche valorise l’illusion et l’apparence parce que

celles-ci sont du côté de la vie : c’est la victoire d’Homère le poète épique qui

glorifie les belles formes (les sens et les apparences) contre Platon le métaphysicien

à la recherche d’invisibles essences (les idées abstraites) :

« Platon contre Homère : voilà le vrai, le total antagonisme – d’un côté le

volontaire de l’au-delà, le grand calomniateur de la vie ; de l’autre celui

qui ne peut en être que l’adorateur, la nature d’or »

Généalogie de la morale, § 24.

Contre une science et une métaphysique moralisatrice, destructrice et nihiliste, il

faut revaloriser l’art, extra-moral ou amoral, embellisseur et stimulateur de

l’existence par sa dimension fondamentalement créative, affirmative et positive :

Þ Gai savoir §59, §80, §85, §107 et §299.

L’art, comme Dionysos, est du côté de la vie, des forces vitales et de l’expression du

monde comme apparence. En cela, il est plus fidèle à la réalité que la vérité. Le

monde selon l’art n’est qu’apparence, cad protéiforme, contradictoire, illusoire,

changeant, mouvant. Il a tous les attributs que lui refusait la métaphysique et la

science classique occidentale pour se rassurer avec un modèle stable et cohérent,

construit à l’image de la « raison » et de la « logique » : Þ Gai savoir §111 et §112.

Ainsi « il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations » ira même jusqu’à affirmer

Nietzsche dans un fragment posthume (fin 1886-printemps 1887). Il n’y a pas non

plus d’explication mais des descriptions. Il n’y a pas d’essence et encore moins de

transcendance mais que des apparences. C’est ce qu’il nomme le perspectivisme.

Ainsi le renversement des valeurs prôné par Nietzsche consiste en fait en une

création des valeurs nouvelles et une revalorisation de l’art aux dépens de la

science, du fictif à la place du vrai, de l’illusion à la place de la vérité puisque celle-

ci n’est pas adéquation, mais falsification et déformation. Autant donc assumer une

telle falsification ou transformation mais en faveur de la vie.

CONCLUSION

Si Nietzsche remet en cause de façon pertinente ce que cache la recherche de la

vérité et ce qu’elle ne « dit » pas, en faisant de l’apparence le principe même de la

réalité pleine et entière – « la véritable et unique réalité des choses », consiste en

somme à dire qu’elle est l’unique vérité dans le sens de la seule interprétation

adéquate à la réalité des choses.

Non seulement la science ne dit pas toute la vérité sur la réalité, mais son langage

la déforme et surtout ne l’exprime pas dans toutes ses manifestations. Par ailleurs, le

discours scientifique n’avoue pas ses origines non-scientifiques, sa foi, sa croyance

en l’existence de la vérité au singulier, d’une essence cachée derrière les

apparences (les phénomènes).

Dire que l’art a plus de valeur que la vérité revient en fait à expliquer qu’il est « plus

vrai » que la vérité en ce sens qu’il correspond mieux à la réalité dans la mesure où

il utilise un autre langage que celui de la morale, de la science et de la religion.

Finalement, malgré son renversement, Nietzsche reste attaché d’une certaine

manière à la conception de la vérité comme adéquation ou coïncidence, comme

ce qui correspond le plus à ce qui [nous] apparait.

Mais qui, aujourd’hui, serait prêt à accepter de vivre dans le chaos, selon un

principe d’incertitude généralisée à toute l’existence humaine et la connaissance ?

Cette « vérité » (artistique) n’est-elle pas plus dure à accepter que

l’autre (scientifique) pour nous les hommes, humains trop humains ? Seuls quelques-

uns en seraient capables, des hommes supérieurs, ceux que Nietzsche nomme

d’ailleurs les « surhommes », un type d’hommes encore inédit, mais seuls à pouvoir

survivre dans ce « nouveau » monde chaotique grâce à leur énergie créatrice et

leur volonté de puissance. Pour ceux qui voudraient savoir comment le devenir, ici

un tutoriel : https://www.youtube.com/watch?v=2lKnfjgCM-0).

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