Cours 5 : Système français de protection sociale

Introduction

  • Définition opérationnelle de la protection sociale :
    • Ensemble de dispositifs destinés à protéger les individus contre les “risques sociaux”.
    • Logique : anticiper ou compenser la perte de revenus ou la hausse de dépenses liée à certains événements.
  • Démarche pédagogique du cours :
    • 1) Clarifier la notion de risque social.
    • 2) Passer en revue les techniques et acteurs mobilisables.
    • 3) Comprendre leur hiérarchisation dans le droit français.

Notion de risque social

  • Définition générique : tout événement susceptible d’altérer la situation économique/financière d’une personne.
  • Trois modalités d’impact :
    • Incapacité physique de travailler ⟹ perte de revenus (ex. maladie, invalidité, vieillesse, décès).
    • Impossibilité économique de travailler ⟹ absence d’emploi (ex. chômage).
    • Hausse forte des dépenses sans baisse des revenus (ex. charges de famille).
  • Conséquence : le risque social = diminution des ressources ou augmentation des besoins financiers.
  • Liste officielle des risques sociaux (droit français) :
    • Maladie, maternité, invalidité, décès, accident du travail, maladie professionnelle, vieillesse, veuvage, charges familiales, chômage.

Techniques de protection sociale

  • Trois grandes familles : prévoyance – assistance – assurance sociale.
  • Critères de distinction :
    • Acteurs (individu, groupe, État, marché).
    • Caractère obligatoire ou facultatif.
    • Mode de financement (épargne, cotisation, impôt, solidarité familiale, etc.).
    • Couverture effective de la population / sélection ou non des risques.

La prévoyance

  • Logique : anticipation – constituer ou mutualiser une réserve avant la réalisation du risque.
  • Deux formes majeures : individuelle (épargne) et collective (assurance privée ou mutualité).

Prévoyance individuelle : l’épargne

  • Principe : mettre de côté une part du revenu → constitution d’un capital personnel.
  • Avantages :
    • Valorisation morale de l’effort individuel ; indépendante d’un tiers.
    • Grande liberté (choix d’épargner, choix des supports, liquidité souvent élevée).
    • Utilité macro-économique : l’épargne réglementée finance logement social, collectivités locales, hôpitaux, politique de la ville.
    • Chiffres clefs 2018 : dépôt total sur épargne réglementée 751\ \text{Md€} dont logement social 253\ \text{Md€} et financement PME 182\ \text{Md€}.
  • Limites :
    • Inégalitaire : seuls les plus aisés peuvent épargner ; ne couvre pas les plus démunis.
    • Vulnérabilité aux crises financières / dépréciations monétaires.
    • Incapacité à absorber les risques « lourds » (ex. vivre uniquement de l’épargne à la retraite).

Prévoyance collective

  • Transfert de la charge du risque de l’individu → groupe.
  • Cotisation préalable de tous les membres, bénéficiaires ou non.
  • Deux instruments : assurance privée et mutualité.
Assurance privée
  • Contrat entre assuré et assureur : prime périodique ↔ indemnité en cas de sinistre.
  • Caractéristiques :
    • Très libérale : adhésion facultative, choix de l’assureur, négociation de la garantie.
    • Caractère commercial : recherche de profit, rémunération du capital.
    • Sélection des risques : refus ou tarif dissuasif pour populations à risques.
    • Principe d’équivalence actuarielle : prime proportionnelle à la probabilité/statistique du sinistre.
  • Conséquence socio-économique : exclusion potentielle des personnes les plus vulnérables.
Mutualité
  • Gestion par les membres – pour les membres (absence d’intermédiaire lucratif).
  • Spécificités :
    • Pas de but lucratif ⇒ pas de sélection des risques.
    • Cotisations établies « à la solidarité », souvent indexées sur le revenu et non sur le risque.
    • Moindre coût structurel (pas d’actionnaire à rémunérer).
  • Faiblesses :
    • Taille restreinte des mutuelles ⇒ difficultés financières récurrentes.
    • Réticence à augmenter les cotisations, surtout si revenus modestes.
    • Couverture limitée aux risques “légers” (maladie) ; difficultés sur chômage ou vieillesse.

L’assistance

  • Logique : intervenir après la survenue du risque pour soutenir les personnes incapables de subvenir seules à leurs besoins.
  • Typologie selon l’acteur dispensateur :
    • Privée (associations, fondations, organisations religieuses).
    • Professionnelle (corps de métier, prévoyance d’entreprise).
    • Familiale.
    • Publique (État, collectivités territoriales).

Assistance familiale

  • La plus ancienne forme de solidarité.
  • Fondements : obligation morale et légale (Code civil).
    • Article 203 : obligation des parents d’entretenir leurs enfants.
    • Article 205 : obligation réciproque des enfants envers parents dans le besoin.
  • Principe de subsidiarité : l’aide publique n’intervient qu’en dernier ressort (art. L.132-6 al.1 CASF).
  • Avantages : gratuité pour la collectivité.
  • Limites :
    • Nécessite l’existence d’une famille et de moyens suffisants.
    • Inadaptée aux risques lourds ou prolongés (chômage longue durée, dépendance, vieillesse).

Assistance publique (aide sociale / action sociale)

  • Origines : lois de la fin du XIX^{e} siècle (1893-1913) → réponses ciblées à chaque risque (maladie, vieillesse, charges familiales…).
  • Double évolution :
    • Terminologique : d’“assistance publique” à aide sociale / action sociale (1953).
    • Institutionnelle : décentralisation 1983 ⇒ transfert de compétences aux collectivités.
  • Critiques récurrentes :
    • Coût jugé élevé pour la collectivité.
    • Nature « improductive » de la dépense (absence de “retour sur investissement”).
    • Risque d’“encouragement à l’oisiveté”.
  • Malgré tout, rôle indispensable face à la précarité extrême.

L’assurance sociale

  • Principe : même logique de mutualisation que l’assurance privée sans but lucratif et avec obligation d’adhésion pour certaines catégories.
  • Particularités :
    • Financement par cotisations proportionnelles aux revenus (salariés + employeurs).
    • Pas de sélection des risques.
    • Adoption progressive au XX^{e} siècle, aboutissant en 1945 à la Sécurité sociale.

Agencement des techniques dans le système français

  • Hiérarchie institutionnelle :
    • Sécurité sociale = « cœur ».
    • Régimes complémentaires obligatoires (prévoyance & retraite) : rehaussement des prestations.
    • Assurance chômage : couverture du risque non pris en charge par la Sécu.
    • Aide & action sociales : filet de sécurité ultime.
    • Autres dispositifs (épargne, assistance familiale…) : rôle périphérique.

La Sécurité sociale

  • Créée 1945 sur le principe de solidarité nationale (art. L.111-1 CSS).
  • Objectif initial : protection des travailleurs et de leur famille contre la majorité des risques.
  • Limites :
    • Couverture populationnelle incomplète (exclusion historique des non-travailleurs).
    • Exclusion du risque chômage.
    • Prestations plafonnées ⇒ nécessité de compléments.

Régimes complémentaires de prévoyance et de retraite

  • Caractéristiques :
    • Obligatoires pour les mêmes publics que les régimes de base (travailleurs + ayants droit).
    • N’étendent pas la couverture à de nouveaux risques ; ne couvrent pas le chômage.
    • Améliorent le niveau des prestations (ex. retraite cadre, maintien de salaire).
  • Domaines où ils existent : prévoyance (incapacité, invalidité, décès) et retraite.

Assurance chômage

  • Extérieure à la Sécu, mais même architecture qu’une assurance sociale :
    • Cotisations proportionnelles (salarié + employeur).
    • Obligation légale.
    • Gestion par caisses spécifiques (Unédic, Pôle emploi).

Aide et action sociales

  • Forme contemporaine de l’assistance publique.
  • Objectif : soutien aux personnes démunies ou exclues des dispositifs assurantiels.
  • Compétence partagée État / collectivités (départements, communes, CCAS…).

Place des dispositifs périphériques

  • Épargne : outil complémentaire pour qui en a les moyens ; finance l’économie réelle.
  • Assistance familiale : premier recours en vertu du principe de subsidiarité.
  • Initiatives privées (fondations, associations) : rôle ponctuel, innovant ou expérimental.
  • Ensemble, ces mécanismes « gravitent » autour du socle Sécurité sociale + régimes complémentaires + assurance chômage + aide sociale.

Synthèse comparative des techniques

  • Prévoyance individuelle (épargne) : liberté + mérite, mais inégalitaire & insuffisante.
  • Assurance privée : efficacité actuarielle, mais sélection des risques et logique de profit.
  • Mutualité : solidarité forte, pas de sélection, mais faiblesse financière structurelle.
  • Assistance : filet de sécurité indispensable, mais stigmatisation et financements publics.
  • Assurance sociale (Sécurité sociale…) : compromis public/obligatoire, large mutualisation, cœur du modèle français.

Enjeux éthiques, philosophiques et pratiques

  • Tension entre responsabilité individuelle (épargne, assurance privée) et solidarité collective (Sécu, aide sociale).
  • Question de la justice redistributive : quid de l’équité entre cotisants et bénéficiaires ?
  • Débats sur la durabilité financière : vieillissement démographique, mutations du marché du travail, crises économiques.
  • Rôle des collectivités territoriales : proximité avec la population, adaptation des politiques sociales, articulation avec les dispositifs nationaux.