3. La littérature en période de guerre et la littérature de la nouvelle Chine à la Révolution culturelle (1937-1949 & 1949-1976)

1949 : fin de la littérature moderne et début de la littérature contemporaine

La littérature contemporaine (début 1949, fondation de la nouvelle Chine, fin 1976, Révolution culturelle)

1.   La littérature en période de guerre (1937-1949)

§  Deux guerres successives : Guerre sino-japonaise (1937-1945) & Guerre civile entre Communiste et Nationalistes, Jiang Jieshi (1945-1949).

§  Dès juillet 1937 : régions du nord-est et de l’est de la Chine occupées par l’armée japonaise

§  Éclatement de la guerre => met un terme aux disputes théoriques entre les écrivains de gauche -> tentent de resserrer leurs liens et de créer une nouvelle union plus large => solidarité patriotique contre le Japon (ligue gauche devient insuffisante)

 Mars 1938 : fondation de l’Association panchinoise des écrivains et artistiques résistants contre l’ennemi (中华全国文艺界抗敌协会 ou 文协)

§  Malgré la guerre = romanciers continuent à écrire et la production reste importante.

§  Déplacement des pôles de création : Péking & Shanghai

 Chongqing (siège du gouvernement nationaliste, « zones occupées »).

 Yan’an (base révolutionnaire communiste, « zones libérées »), Shaanxi

§  Nouvelle carte politique => nouvelle géographie littéraire

Bipolarisation du roman chinoise moderne : roman rural (Yan’an, Chongqing) et roman urbain (Shanghai).

2.   Formes nationales 民族形式

§  Production romanesque des « zones libérées » : au croisement d’un contexte politique particulier et d’une réorientation idéologique radicale => particulièrement liée aux grands débats de Yan’an et Chongqing.

§  Grands débats 民族形式 :

Discussion sur les « formes nationales » parmi les intellectuels et sympathisants communistes -> nécessité d’utiliser les « formes nationales » => dans le fond, elle donne lieu à une réflexion critique sur les acquis de la littérature post-Mouvement du 4 mai 1919 五四文学 (progrès, modernisation, esprit libéral)  elle n’est plus adaptée à la situation réelle :

-       Certains pensent que c’est une littérature élaborée par une élite intellectuelle et citadine = détachée des réalités sociales de la Chine.

-       D’autres que le problème n’est pas dans une nouvelle littérature = il est important d’élever le niveau de lecture de masses.

§  Mao Zedong = contre les tendances élitistes et urbaines de la nouvelle littérature => « De la nouvelle démocratie 新民主主义论 1940 (discours) = la nouvelle culture en Chine doit être une « culture paysanne élevée » : majorité de la population chinoise est rurale, donc la question nationale est essentiellement une question paysanne => écrivains modernes doivent écrire dans « un style chinois et une manière chinoise, frais et vivant, comme ce que le peuple chinois ordinaire aime entendre et voir »

 Mais Mao n’a pas réussi, que à Yan’an.

§  Début de la guerre sino-japonaise & déception envers le régime nationaliste => écrivains ont quitté les régions côtières et arrivent en grand nombre à Yan’an => ils y voient la possibilité de participer à un vaste mouvement de réformes sociales => seule issue pour construire une nouvelle Chine indépendante et socialement structurée.

 Mais différents entre ces nouveaux arrivés (écrivains) et les vieux cadres (communistes) concernant le pouvoir du PCC dans les activités créatives ou le travail idéologique parmi les paysans.

§  Sur ce fond de désaccord, en Mai 1942, le PCC organise un forum sur la littérature et les arts => Mao prononce les deux discours « L’intervention au Forum sur la littérature et les arts de Yan’an 在延安文艺座谈会上的讲话 » :

Mao apprend à ces écrivains et intellectuels

-       La littérature n’est pas autonome mais partisane (partisane du PCC).

-       Sa fonction primordiale = fournir des armes dans le combat politique et éduquer le peuple.

-       Mais, les écrivains doivent d’abord se faire éduquer auprès du peuple (en se mettant à leur écoute).

-       Ils doivent se vouer aux masses populaires, aux ouvriers, aux paysans et aux soldats.

3.   Création romanesque et théâtrale à Yan’An

§  Apparition de nouveautés à Yan’an sous le diktat du PCC :

-       Réhabilitation des formes anciennes (traditions orales et théâtrales).

-       Écrivains directement issus de la paysannerie sur le devant de la scène.

-       Thèmes fixés sur la résistance contre le Japon et les réformes agraires lancées par le PCC (propriétaires terriens perdent leurs terres distribuées aux paysans).

§  Zhao Shuli 赵树理 (1906-1970) : écrivain le plus en vue

-       Autodidacte issu d’une famille de paysan pauvre

-       Membre du parti communiste, s’inspire des styles populaires

-       Publie une vingtaine de nouvelles à succès

-       « Le mariage de Xiao Erhei 小二黑结婚 (1943)

§  1945 : création de l’opéra La fille aux cheveux blancs 白毛女, par un groupe d’artistes à Yan’an =  associe un fort esprit romantique à la théorie de la lutte des classes => œuvre artistique classique et très populaires dans les « zones libérées ».

§  Défauts dans la production littéraire et artistique à Yan’an de cette époque :

-       Sujets qui ne varient pas (strictement limités aux thèmes des réformes agraires et de la résistance contre le Japon).  Sujet consacré au monde ouvrier = artificielle car ne connaissent pas la vie d’un ouvrier, pas la réalité

-       Structure narrative tiré d’un même moule (à la fin = triomphe indiscutable des héros positifs et sanction inéluctable des vilains). -> soit noir soit blanc

-       Personnages très stéréotypés (rôle prédestiné et une seule évolution possible pour les personnages positifs = progression personnelle et éveil de la conscience politique).

 

4.   Création romanesque à Shanghai

§   Histoire officielle du roman chinois moderne : accorde une importance excessive à la production partisane de Yan’an.

§  Mais, scène littéraire de cette période loin d’être monolithique.

§  Romans  écrits par des auteurs restés à Shanghai  = redécouverte récente  des recherches littéraires -> les chercheurs chinoise d’outre-mer ou étrangers sont les premiers à réhabiliter ces romanciers.

§  Nouvelle génération de romanciers qui se différencie des générations précédentes.

§  Le sujet social n’est pas abandonné

-       Thème du mariage et de la famille toujours présents

-       Mais, se pose d’une autre manière = se réfère moins aux modèles étrangers ou au sentimentalisme du 4 Mai => davantage de scepticisme, sarcasme ou autodérision

§  Désintégration du système familiale, dislocation de l’institution matrimoniale, désenchantement des aventures amoureuses => sujets de réflexion sur les relations humaines à une échelle réduite et sur les problèmes existentiels des individus.

4.1.     Qian Zhongshu 钱钟书 (1910-1998)

§  Études d’anglais en Chine, à Oxford, à la sorbonne (1937-1938)

§  Enseigne à l’Université nationale associée du Sud-Ouest 西南联大 (1938-1946) -> elle comporte 3 université 北大, 清华, Nankai (天津)

§  Directeur-adjoint à l’Académie chinoise des sciences sociales

§  Célèbre pour son unique roman La Forteresse assiégée 围城 (1947)

§  Après 1949 : il renonce à l’écriture romanesque par prudence politique

§  La Forteresse assiégée : synthèse des expériences personnelles de Qian Zhongshu, mais aussi une image profondément critique et ironique de la société contemporaine.

4.2.     Zhang Ailing 张爱玲 (1920-1995) Eileen Zhang

§  Femme de lettres sino-américaine, romancière, scénariste et traductrice.

§  Renommée considérable dans le monde sinophone => son œuvre en langue chinoise a connu de nombreux adaptations (films, pièces de théâtre, série…) et a suscité de nombreux débats et travaux de recherches.

§  Bilingue, initiée dès son plus jeune âge aux chefs-d’œuvre de la littérature chinoise classique.

§  Scolarité dans des écoles américaines ou anglaises => a mené sa carrière tant en anglais qu’en chinois.

§  Reconnaissance considérable et immédiate dès la parution de ses premières œuvres à Shanghai (1943).

§  Début des années 1950 : s’exile à Hong Kong puis aux États-Unis.

 

 

 

 

5.   Production romanesque à Chongqing

§  Romans créés à Chongqing : pas la même homogénéité qu’à Shanghai.

§  Littérature du sud-ouest : s’installe dans une longue tradition culturelle, fermée sur elle-même et conservatrice, éloignée de tout courant moderne => plus proche d’un type de culture rurale.

§  Invasion japonaise => écrivains chassés de leur milieu urbain côtier = séjournent dans ce pays étranger pour eux (coutumes et langue)

§  Les groupes d’écrivains présentent des caractères hétérogènes.

§  Mais prédominance de certains thèmes unificateurs :

-       Patriotisme : correspondance de guerre, littérature de reportage, théâtres de rue, lectures de poèmes dans la rue…

-       Vie provinciale et rurale.

§  Mais diversification avec d’autres sujets : dureté des conditions de vie, problèmes psychologiques posés par le nouveau contexte social.

5.1.     Lu Ling 路翎  (1923-1994)

§  Qualité de la production de Chongqing : n’atteint pas celle de Shanghai, mais, quelques chefs-d’œuvre.

§  Guo Su’e : l’affamée 饥饿的郭素娥 (1943) : a beaucoup frappé les lecteurs par la crudité du récit.

 Thème du roman : la vie des bas-fonds de la société, mais focalisé sur les conditions d’existence misérables des femmes dans un système d’exploitation terrifiant.

 Pas de propagande = l’auteur veut montrer la force de l’homme devant un tel système d’oppression (volonté de survie, amour charnel, aspiration à l’amitié et à l’affection.

6.   Littérature des « Dix-sept ans » (1949-1976)

1949-1966 : La littérature des « Dix-sept ans 十七年文学 » (de la fondation de la Chine jusqu’au début de la Révolution culturelle en 1966).

1966-1976 : révolution culturelle 文化大革命 (10 ans).

§  La littérature des « zones libérées » qui a débuté à Yan’an : a entretenu une relation particulière avec la politique.

§  « Dans le monde actuel, toute culture et tout art appartiennent à une certaine classe. Ils appartiennent à une certaine ligne politique, L’art pour l’art, l’art des supra-classes, l’art qui est parallèle ou opposé à la politique, n’existent pas dans la pratique » (Mao Zedong)

§  Mao Zedong appelle à ce que la littérature devienne  « partie intégrante de toute la machine révolutionnaire ».

§  Principe théorique pour la production littéraire :

 « La littérature est au service de la politique » => impose des exigences normatives pour la littérature (sujet, contenu, forme d’expression et style artistique) => impact négatif sur la création littéraire.

§  Après 1949 : cette théorie est établie comme le principe suprême de la création littéraire => nombreuses règles progressivement introduites :

-       Principalement écrire sur la vie des ouvriers, paysans et soldats

-       Se concentrer sur les personnages héroïques.

-       Écrire sur le côté lumineux de la vie et montrer l’optimisme historique selon laquelle « le socialisme vaincra »

è Ces règles ont conduit à une tendance de la littérature chinoise contemporaine à devenir de plus en plus stéréotypé.

§  Renforcement sans précédent de l’utilitarisme politique de la littérature qui se reflète dans sa création => glorification de la réalité, du PCC, de Mao Zedong, de la nouvelle société et de nouvelles figures (ouvriers, paysans et soldats)

§  Genre de la glorification : domine presque toute la scène littéraire dans les premières années du régime.

§  Années 1950 : une grande partie des romans écrits sur le thème de la vie rurale.

§  Autre thème important : la guerre civile et la victoire du PCC.

§  1957 : lancement de la campagne des Cent Fleurs 百花运动 par Mao Zedong pour rétablir son autorité sur le PCC (février à juin) => redonner une certaine liberté d’expression à la population (surtout aux intellectuels) pour critiquer le Part.

 Campagne des Cent Fleurs = « comédie qui va se muer en tragédie » (J.-L Domenach) :

-       La contestation explose => le PCC lance une répression féroce (campagne anti-droitiste 反右运动) = plusieurs centaines de milliers de victimes, emprisonnées, déportées et parfois exécutées.

§  1966 : Mao Zedong lance la Révolution Culturelle pour consolider son pouvoir => estimation du nombre de morts qui varie entre des centaines de milliers à 20 millions.

§  Pendant la Révolution Culturelle : littérature directement contrôlée par la politique, mais quelques artistes littéraires s’accrochaient toujours à leurs idées artistiques : 3 catégories

-       Œuvres publiées pas entièrement conformes aux ordres politiques.

-       Littérature « manuscrite » qui circule dans la clandestinité.

-       Œuvres écrites en secret par des écrivains et poètes, non divulguées pendant la Révolution Culturelle.