2-3-La transformation de la société au début du 20e siècle
2-3-La transformation de la société au début du 20e siècle
Dans les premières décennies du 20 e siècle, les transformations engendrées par l’industrialisation sont à la source de nombreuses inégalités sociales. Des
personnes et des organisations revendiquent des changements.
Le mouvement syndical
Le mouvement syndical, né durant la première phase d’industrialisation, poursuit sa lutte pour la défense des intérêts des ouvriers et l’amélioration de leurs conditions de travail. Malgré les gains obtenus à la fin du 19 e siècle, les conditions de travail des ouvriers sont encore très difficiles. Les syndicats continuent de revendiquer la réduction des heures de travail et une meilleure protection pour les ouvriers blessés au travail.
Les syndicats d'origine américaine
Au début du 20 e siècle, les organisations syndicales du Québec sont encore essentiellement membres d’associations américaines. En 1900, les Chevaliers du travail regroupent 40 syndicats au Québec. Cette organisation est bientôt dépassée par une autre organisation américaine, la Fédération américaine du travail, qui rassemble des syndicats de métiers.
La législation ouvriére
Même si les gouvernements provincial et fédéral ont adopté une législation ouvrière au cours de la première phase d’industrialisation, les ouvriers restent souvent démunis face à leurs employeurs.
Les syndicats parviennent difficilement à faire entendre leurs revendications. Ils ont du mal à faire reconnaître leur statut légal et beaucoup d’employeurs refusent de considérer les représentants syndicaux comme des interlocuteurs valables.
Les syndicats exigent des gouvernements qu’ils légifèrent davantage en faveur des ouvriers. Des mesures et des lois visant à réglementer le travail sont progressivement adoptées. Elles profitent à tous les ouvriers, qu’ils soient syndiqués ou non, mais elles ne sont pas toujours appliquées.
La gréve
Malgré une législation ouvrière qui progresse, le pouvoir de négociation des syndicats demeure limité. Pour faire entendre leur voix, certains syndicats recourent à la grève. Celle-ci n’est pas nécessairement vue d’un bon œil par les gouvernements. Ces derniers interviennent parfois directement dans les conflits de travail et répriment les mouvements de grève par la force. À d’autres occasions, ils font intervenir les forces policières afin de protéger les briseurs de grève surnommés « scabs ».
L'action sociale de l'Église catholique
Au Québec, l’Église catholique exerce une importante fonction sociale puisqu’elle gère les organismes de charité, les hôpitaux et les écoles. Elle n’hésite pas à intervenir auprès des gouvernements si elle juge que son pouvoir et les valeurs qu’elle prône sont menacés. L’Église catholique possède ainsi une grande influence morale et culturelle sur la société canadienne-française de l’époque.
La doctrine sociale de l'Église catholique
En dépit de sa puissance, l’Église catholique au Québec craint que des associations, principalement les syndicats d’origine américaine, gagnent en autorité au détriment de la sienne. De plus, puisque ces organisations syndicales essentiellement laïques proviennent de l’étranger, l’Église catholique n’est pas vraiment en mesure d’exercer une influence sur elles. Par ailleurs, l’Église s’inquiète des inégalités croissantes. Elle estime que les conditions de vie et de travail difficiles des ouvriers pourraient éventuellement compromettre l’ordre social.
Inquiète des effets des nouvelles réalités du monde industriel, l’Église catholique cherche des moyens de s’investir davantage dans son action sociale et de promouvoir ses valeurs. C’est ainsi qu’elle adopte une doctrine sociale qui accorde une attention particulière aux syndicats et aux inégalités socioéconomiques. La doctrine sociale adoptée par l’Église a deux effets principaux :
L’Église catholique finit par accepter la présence des syndicats auxquels elle s’est d’abord opposée. Sa stratégie consiste à les encadrer afin qu’ils respectent les principes du catholicisme et s’éloignent des idées, des valeurs et des idéologies, comme le socialisme, qu’elle rejette.
Pour réduire les inégalités socioéconomiques issues de l’industrialisation, l’Église prône la solidarité et le recours à la charité. Elle s’oppose en cela aux militants syndicaux qui misent plutôt sur des moyens de pression pour obtenir des changements dans les conditions de vie des travailleurs.
L'École sociale populaire
Fondée à Montréal en 9, l’École sociale populaire joue un rôle très important dans l’élaboration, la diffusion et l’application de la doctrine sociale de l’Église catholique. Composée de membres du clergé et de laïcs, elle forme des militants qui œuvreront dans les nombreuses associations liées à l’Église catholique (l’Association catholique de la jeunesse canadienne, la Jeunesse ouvrière catholique, etc.).
La création de syndicats catholiques
En accord avec sa doctrine sociale, l’Église catholique collabore avec des laïcs pour fonder des syndicats catholiques. Ces derniers sont créés principalement après 1918. En 1921, ils sont suffisamment nombreux pour se regrouper au sein de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC).
L'Église catholique et les coopératives
Au début du 20 e siècle, des personnes ayant des intérêts communs se réunissent et fondent des coopératives. Les membres d’une coopérative mettent une partie de leurs avoirs en commun et partagent des ressources. Tous les membres d’une coopérative sont égaux. Les profits amassés par la coopérative sont répartis entre tous les membres, en fonction de leurs parts. Le mouvement coopératif est particulièrement présent chez les agriculteurs. Ces derniers fondent des coopératives agricoles, qui réussissent à obtenir plus facilement des prêts bancaires. L’argent emprunté permet aux coopératives agricoles d’investir dans le développement des fermes de leurs membres.
Comme la solidarité est une valeur prônée dans sa doctrine sociale, l’Église catholique trouve dans le mouvement coopératif un moyen pour mener à bien
son action sociale et réduire les inégalités socioéconomiques. Ainsi, l’Union catholique des cultivateurs, fondée en 1924, favorisera la diffusion du mouvement coopératif dans le domaine de l’agriculture.
Des services aux citoyens en milieu urbain
Au début du 20 e siècle, les gouvernements prennent des mesures pour offrir une meilleure qualité de vie aux citoyens en milieu urbain. Ces mesures deviennent d’autant plus urgentes que l’urbanisation progresse rapidement au cours de cette deuxième phase d’industrialisation.
À compter des années 1910, la population du Québec devient majoritairement urbaine. Le manque de services et d’infrastructures dans les quartiers à forte densité favorise l’éclosion d’épidémies, comme le choléra, la variole et la diphtérie. Cette situation est dénoncée par plusieurs, notamment par des associations réformistes. Les villes prennent progressivement des mesures pour améliorer l’hygiène dans les quartiers ouvriers. Elles investissent dans la collecte d’ordures ménagères et dans la construction d’infrastructures urbaines comme les égouts et les aqueducs.
Dans les quartiers ouvriers surpeuplés, la mortalité chez les enfants demeure un véritable fléau. À Montréal, près d’un enfant sur quatre décède avant d’avoir atteint l’âge d’un an. En plus des épidémies, les principales causes de la mortalité chez les enfants sont la mauvaise qualité de l’eau et du lait non pasteurisé qu’ils consomment. Pour remédier à ce problème, la ville de Montréal met en place, à partir des années 1910 :
un système de chloration et de filtration de l’eau ;
des cliniques appelées « Goutte de lait », qui distribuent du lait de qualité et fournissent des informations sur l’hygiène.
Les municipalités cherchent aussi à rendre la vie urbaine plus agréable. Elles aménagent des parcs afin d’offrir un accès à des espaces verts. L’électrification progressive des villes permet aux citadins de profiter de l’électricité à la maison, mais aussi de nouveaux services publics électrifiés comme l’éclairage des rues et le tramway.
Le systeme d'éducation
Dans les premières décennies du 20 e siècle, le système scolaire québécois présente de nombreuses lacunes. L’une des plus importantes est la faible scolarisation des francophones par rapport aux anglophones. La grande majorité des jeunes francophones, autant garçons que filles, ne terminent pas leur cours primaire et quittent l’école vers l’âge de 12 ans. Pour gagner leur vie, une majorité d’entre eux n’a alors d’autre choix que de travailler comme agriculteur ou ouvrier.
Un projet de loi sur la fréquentation obligatoire de l’école est présenté en 1901 par le gouvernement libéral du Québec. Il est cependant rejeté sous l’influence de l’Église, qui y voit une menace au rôle qu’elle joue en éducation. Le débat sur l’école obligatoire demeure présent au cours des décennies suivantes, mais il n’aboutit à aucune loi. Toutefois, certaines mesures sont adoptées dans le domaine de l’éducation.
Les luttes des femmes
Au début du 20 e siècle, les féministes organisent progressivement leurs actions afin de sensibiliser les femmes et de les amener à revendiquer des droits juridiques et politiques.
Les pionniéres francophones de la défense
des droits des femmes au Québec
En 1902, Marie Lacoste Gérin-Lajoie, une féministe, publie un ouvrage intitulé Traité de droit usuel. Cet ouvrage vise à faire prendre conscience aux femmes que leur statut juridique est inférieur à celui des hommes.
En 1907, Marie Lacoste Gérin-Lajoie et Caroline Béïque fondent la première association réformiste canadienne-française, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste. Cette association a pour but initial d’améliorer les conditions de vie des plus démunis, plus particulièrement des femmes et des enfants. Toutefois, les femmes qui y militent commencent peu à peu à ajouter une dimension politique à leurs revendications, comme l’avaient fait les réformistes anglophones à la fin du 19 e siècle. Elles se joignent à d’autres féministes, par exemple aux féministes de la Montreal Suffrage Association présidée par Carrie Derick. Elles revendiquent des changements auprès des gouvernements.
Marie Lacoste Gérin-Lajoie est convaincue de l’importance de l’éducation chez les filles. Dans le but de leur donner une formation qui les prépare aux études universitaires, elle participe, en 1908, à la fondation du tout premier collège classique pour filles, l’École d’enseignement supérieur. Un deuxième collège est créé à Sillery, en 1925. Malgré ces progrès, les femmes francophones restent pratiquement absentes des universités francophones pour plusieurs décennies encore.
Des revendications qui dérangent l'ordre établi
Les organisations féminines se heurtent à la classe politique et intellectuelle, au clergé et aux femmes traditionalistes. À partir des années 1920, certaines femmes portent les cheveux courts et introduisent dans leur habillement le pantalon ou des accessoires qui étaient auparavant réservés aux hommes. Pour certaines femmes, ces pratiques représentent un moyen d’afficher leur féminisme.
Le droit de vote des femmes
Au Canada comme au Québec, des féministes, les suffragettes, revendiquent le droit de vote. Au Québec, plus particulièrement, elles font face à une forte opposition. Le clergé et des nationalistes conservateurs, qui possèdent beaucoup d’influence et prônent le respect des valeurs traditionnelles, réagissent le plus fortement. Pour eux, la politique est un domaine réservé aux hommes. Ils craignent que les femmes adoptent des positions politiques opposées à celles des hommes ou de leur mari. Ils considèrent donc qu’accorder le droit de vote aux femmes est une menace pour l’ordre social et la famille. Malgré les oppositions, les femmes obtiennent le droit de vote au fédéral en 98. Au Québec, Idola Saint-Jean milite pendant de nombreuses années en faveur du droit de vote des femmes. Cependant, la résistance est telle qu’il faudra attendre plus de deux décennies pour que ce droit leur soit accordé.
Les femmes et le marché du travail
Le marché du travail offre peu de perspectives intéressantes pour les femmes. Selon la mentalité dominante de l’époque, la place de la femme est au foyer et elle n’a pas à subvenir aux besoins financiers de la famille. Les emplois des femmes sont considérés comme moins importants et sont moins bien rémunérés. Les femmes font ainsi face à une discrimination salariale : en 1931, le salaire moyen des femmes correspond à 56 % de celui des hommes.
De plus, comme à la fin du 19 e siècle, les emplois accessibles aux femmes sont limités : ouvrière, domestique, coiffeuse, infirmière, enseignante. Lorsque des femmes ont accès à des emplois de bureau, elles effectuent essentiellement des tâches de secrétariat. Les féministes militent pour que les femmes aient un accès réel à des carrières dans des domaines réservés aux hommes, comme le droit, le notariat, la comptabilité ou la médecine.