Chap 4 ses mobilité sociale

Chapitre 4 Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ?

Objectifs d’apprentissage :

- Savoir distinguer la mobilité sociale intergénérationnelle des autres formes de mobilité (géographique, professionnelle).

- Comprendre les principes de construction, les intérêts et les limites des tables de mobilité comme instrument de mesure de la mobilité sociale.

- Comprendre que la mobilité observée comporte une composante structurelle (mobilité structurelle) ; comprendre que la mobilité peut aussi se mesurer de manière relative indépendamment des différences de structure entre origine et position sociales (fluidité sociale) et qu’une société plus mobile n’est pas nécessairement une société plus fluide.

- À partir de la lecture des tables de mobilité, être capable de mettre en évidence des situations de mobilité ascendante, de reproduction sociale et de déclassement, et de retrouver les spécificités de la mobilité sociale des hommes et de celles des femmes.

- Comprendre comment l’évolution de la structure socioprofessionnelle, les niveaux de formation et les ressources et configurations familiales contribuent à expliquer la mobilité sociale.

I/ Comment définir et mesurer la mobilité sociale ?

1. Les formes et les enjeux de la mobilité

Le droit à la mobilité est l’un des principes fondamentaux des démocraties libérales énoncé par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen🡪 La Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen affirme le droit à la mobilité géographique à l’intérieur des États, c’est-à-dire les mobilités résidentielles et pendulaires, et entre les États, c’est-à-dire la mobilité migratoire

En France, la mobilité géographique est très faible et l’immobilité géographique approche les 90%. La mobilité géographique est courte. Elle s’effectue principalement au sein du département (71,68%).

La mobilité géographique est un droit générique dans la mesure où elle conditionne l’exercice d’autres droits comme la santé et le logement🡪 Par exemple, le droit à la santé est inutile si l’absence de transport empêche de se rendre dans les hôpitaux.

Les inégalités de mobilité produisent d’autres inégalités, comme l’accès à l’éducation. Elles se cumulent avec d’autres inégalités, comme celles de logement. Les inégalités de mobilité sont la matrice des autres inégalités.

Mais la mobilité n’implique pas toujours de déplacement physique, elle peut consister à se déplacer au sein de la société, pour les individus comme pour les groupes sociaux ; on parle dans ce cas de mobilité collective.

Cette mobilité sociale peut être une mobilité professionnelle(ou intra générationnelle) consiste à changer de profession, d’entreprise ou de niveau de qualification au cours de la vie active, ou une mobilité intergénérationnelle, fondamentale dans une société démocratique. Les sociétés démocratiques reposent sur un principe d’égal accès aux positions sociales les plus valorisées. Elles ne les réservent pas à une partie de la population, mais les laissent ouvertes à tous selon les mérites de chacun. Si les études de mobilité montrent que les positions valorisées se transmettent de génération en génération, alors la forme démocratique de la société est remise en cause.

. L’étude de ce type de mobilité est possible grâce aux enquêtes formation et qualification professionnelle (FQP) conduites par l’INSEE. Ces enquêtes FQP renseignent également sur la profession et le diplôme des parents ainsi que sur la profession des grands-parents de l’enquêté. En conséquence, il est possible d’analyser une forme de mobilité intergénérationnelle à laquelle l’INSEE réserve le terme de mobilité sociale.

Il s’agit alors de comparer la position sociale d’un individu avec celle de son ascendant (c’est-à-dire son origine sociale). En France, la position sociale d’un individu est appréhendée par sa catégorie socioprofessionnelle à partir de la nomenclature des catégories socioprofessionnelles (CSP) ou de celle des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) selon la date de l’enquête.

Les études sur la mobilité sociale n’ont longtemps concerné que les hommes en raison de la faiblesse des taux d’activité féminins jusque dans les années 1960. La position sociale des femmes était alors appréhendée par la catégorie socioprofessionnelle de leur conjoint et leur mobilité par rapport à celle de leur père. Le développement de l’activité féminine permet aujourd’hui d’évaluer la mobilité sociale féminine à partir de leur catégorie socioprofessionnelle propre.

L’INSEE mesure alors la mobilité sociale des femmes selon deux approches complémentaires : soit en comparant leur catégorie socioprofessionnelle à celle de leur mère soit, pour les générations les plus anciennes, en la rapportant à celle de leur père. Par ailleurs, les enquêtes emploi, conduites également par l’INSEE, permettent aussi l’étude de la mobilité sociale puisqu’elles interrogent sur la profession du père de l’enquêté depuis 1982 et sur celle de la mère depuis 2003. Ces enquêtes permettent finalement de construire des « tables de mobilité » à partir desquelles sont développées les analyses de la mobilité sociale.

2. Principes, intérêts et limites des tables de mobilité sociale.

La mesure de la mobilité sociale s’effectue à partir de tables de mobilité 🡪Les tables de mobilité croisent, dans un tableau à double-entrée, les positions sociales et les origines sociales des enquêtés repérées par les six groupes socioprofessionnels d’actifs occupés ou d’anciens actifs occupés. La table de recrutement ou d’origine présente la Profession et catégorie socioprofessionnelle(PCS) à laquelle appartenaient les parents en fonction du métier des enfants. A l’inverse, la table de destinées montre à quelle PCS appartiennent les enfants en fonction de la PCS de leurs parents. Les tables de mobilité mettent en évidence une mobilité observée (ou absolue ou totale), mais également les situations d’immobilité sociale ou reproduction sociale (ou immobilité sociale) qui prennent la forme d’hérédité sociale ou d’autorecrutement social, lorsque les PCS des parents et des enfants sont identiques.

L’exemple suivant est la table de mobilité des hommes élaborée à l’occasion de l’enquête de 2014-2015.

Comment l’échantillon des tables de mobilité est-il construit ?

Pour éviter les biais liés aux situations de mobilité au cours de la carrière professionnelle, le champ des tables de mobilité est composé d’actifs ou d’anciens actifs âgés de 40 à 59 ans : le groupe socioprofessionnel de l’enquêté est ainsi relevé lorsque sa carrière professionnelle est déjà avancée (entre 40 et 59 ans) et celui de l’ascendant (père), au moment où l’enquêté finissait ses études.

Comment lire les tables de mobilité ?

Parmi les 6 808 000 hommes actifs occupés ou ancien actifs occupés, 217 000 sont AE et 674 000 ont un père AE. De plus, 175 000 AE sont fils d’AE.

En procédant ainsi pour toutes les catégories, on note :

1. que la diagonale descendante du tableau informe sur la reproduction sociale. Elle concerne 2 484 000 personnes, soit 36,5 % de l’effectif. En conséquence, 63,5 % ont changé de position sociale par rapport à leur père ;

2. que les autres cases du tableau renseignent sur des flux de mobilité sociale entre PCS. Ainsi, 76 000 ouvriers ont un père qui était cadre et 1 239 000 un père qui était ouvrier. Par ailleurs, 269 000 cadres ont un père qui était ouvrier et 453 000 ont un père cadre ;

3. que la lecture de la table en ligne permet une analyse en termes de destinées sociales (que deviennent les fils d’une catégorie socioprofessionnelle donnée ?) : 1 239 000 fils d’ouvriers sont eux-mêmes ouvriers.

4. que la lecture de la table en colonne permet une analyse en termes de recrutement social (de quelles PCS proviennent les individus d’une PCS donnée ?) : par exemple 453 000 CPIS sont fils de CPIS.

Ces quelques informations attestent que les positions sociales ne sont pas strictement déterminées par l’origine sociale, bien que des inégalités perdurent dans la distribution des statuts sociaux. L’analyse de la mobilité sociale à partir des tables de mobilité permet d’étudier dans quelle mesure l’origine sociale d’un individu conditionne sa trajectoire sociale et plus largement d’objectiver les parcours sociaux d’une génération à l’autre.

Néanmoins, les tables de mobilité comme instrument de mesure de la mobilité sociale présentent plusieurs limites :

1. La difficulté, voire l’impossibilité, de hiérarchiser facilement certains groupes socioprofessionnels entre eux, ce qui est pourtant utile à une étude significative de la mobilité sociale. C’est pourquoi les travaux de l’INSEE les plus récents distinguent les flux de mobilité verticale (entre trois groupes hiérarchisés : CPIS, PI et employés et ouvriers) et non verticale (mobilité de statut entre salariés et indépendant et mobilité entre groupes dont la hiérarchisation est plus difficile : d’une part entre AE et ACCE et d’autre part entre employés et ouvriers).

2. Les tables de mobilité utilisent le niveau le plus agrégé de la classification en PCS. 🡪 Le découpage en six PCS peut masquer une partie de la mobilité sociale existant au sein des catégories .Il s’agit par exemple, des passages de la catégorie employé non qualifié à la catégorie employé qualifié.

Le découpage en six PCS peut surestimer la mobilité entre des catégories proches comme celle des employés et des ouvriers.

Or, Cédric Hugrée (2016) identifie, avec ses tables détaillées utilisant le niveau 2 de la classification (24 catégories), des flux intéressants qui ne ressortent pas avec le niveau 1. Par exemple, les enfants d’artisans deviennent plus souvent ouvriers qualifiés qu’artisans et les enfants de commerçants, plus souvent cadres supérieurs ou professions intermédiaires que commerçants. Les destinées sociales des enfants de ce groupe socioprofessionnel ACCE sont donc différentes selon qu’ils proviennent de la catégorie socioprofessionnelle des artisans ou de celle des commerçants. Les tables détaillées de mobilité mettent aussi en évidence des déplacements significatifs internes aux groupes socioprofessionnels.

3. L’usage de la classification en PCS porte, en lui-même, une limite que l’on retrouve au niveau de la constitution de l’échantillon. En effet, il concerne des actifs occupés ou des anciens actifs occupés, classés selon leur précédente activité professionnelle. Mais ces personnes peuvent être au chômage, en emploi atypique ou devenues inactives. Ces fractures économiques et sociales, qui n’apparaissent pas dans la classification en PCS, ne sont pas prises en compte dans l’analyse de la mobilité sociale.

4. Une table de mobilité conduit à considérer que les groupes socioprofessionnels sont comparables d’une génération à l’autre et que leurs positions relatives restent identiques ; or les métiers et professions évoluent fortement, de telle sorte que les conditions de vie, le prestige, le revenu qui y sont associés sont très différents entre descendants et ascendants… elles ne peuvent rendre compte de la mobilité subjective, ressentie par les personnes lorsque leurs conditions de travail s’améliorent ou se détériorent par exemple.

3. La composante structurelle de la mobilité sociale

Il s’agit dans ce cas d’une mobilité structurelle qui est une composante de la mobilité observée. La mobilité structurelle se mesure en calculant la différence entre le nombre de parents dans une PCS et le nombre d’enfants dans cette même PCS.

La mobilité observée comporte une dimension structurelle liée aux modifications de la structure socioprofessionnelle entre les deux générations (les changements de position sociale entre les générations peuvent résulter des modifications entre les emplois qui existaient pour les parents et les emplois disponibles pour les enfants), ce qui, avec les différences de fécondité et de migrations selon les groupes socioprofessionnels, alimente une mobilité structurelle.

Par simplification, on ramène la mobilité structurelle à la mobilité socioprofessionnelle dont la mesure consiste à comparer les marges. Les flux entrants dans les catégories étant alimentés par les flux sortants des autres ; il convient, lors du calcul, qu’ils ne s’annulent pas et de ne pas les comptabiliser deux fois.

La mobilité structurelle n’est donc pas liée à la volonté des individus, elle résulte des changements dans la structure de l’économie. Théorisé par Schumpeter, le processus de destruction créatrice inhérent au capitalisme est la principale explication de la mobilité structurelle. En détruisant des emplois dans certains secteurs d’activité et en en créant dans d’autres, le progrès technique implique des changements de statut professionnel entre les parents et les enfants .Selon la théorie du déversement d’Alfred SAUVY, les emplois disparaissent dans les secteurs primaire et secondaire à fort progrès technique et faible progression de la demande et apparaissent dans le secteur tertiaire à faible progrès technique et forte progression de la demande(la forte progression de la demande est ici la conséquence de la hausse du pouvoir d’achat sur le long terme qui entraine une modification de la structure des dépenses de consommation avec une baisse de la part relative des dépenses alimentaires puis des biens de consommation durables et une hausse des services.)

4. La fluidité sociale : une mesure relative de la mobilité sociale

La mobilité structurelle représente en quelque sorte la mobilité minimale imposée par l’évolution de la structure des emplois entre deux générations. Cette mobilité détermine, avec la fluidité sociale, le niveau de la mobilité sociale et ses caractéristiques principales (reproduction sociale, mobilité ascendante et déclassement).

La mobilité relative s’oppose à la mobilité observée qui se compose de la mobilité structurelle et de la mobilité nette Face à la difficulté d’interprétation de la mobilité nette, les spécialistes des tables de mobilité lui ont substitué une analyse en termes de fluidité sociale.

L’analyse en termes de fluidité sociale est complémentaire de l’étude des flux liés à la mobilité structurelle. Elle consiste à mesurer la force du lien entre origine et position sociales indépendamment de la taille des groupes et de leur évolution. La fluidité sociale est donc indépendante des évolutions de la structure sociale entre la génération des parents et celle des enfants.

On peut l’appréhender en utilisant les rapports de chances relatives (odds ratios) ; par exemple, en rapportant la probabilité qu’un fils de CPIS devienne CPIS plutôt qu’ouvrier à celle qu’un fils d’ouvrier devienne CPIS plutôt qu’ouvrier.

Dans le cadre des tables de mobilité, un rapport de chances relatives égal à 1 traduit l’absence de lien entre l’origine sociale et la destinée sociale. En revanche, plus la valeur du rapport diffère de 1, plus la répartition des positions sociales est inégalitaire. Une baisse des rapports de chances relatives dans le temps traduit une société plus fluide, donc plus mobile, avec des trajectoires ascendantes et descendantes plus nombreuses.

Nous pouvons aussi illustrer l’évaluation partielle de la fluidité sociale en choisissant des rapports de chances significatifs. Les calculs indiquent que les fils d'ouvriers ont [(1 239 000 / 269 000) / (76 000 / 453 000)] = 27,45 fois plus de chances que les fils de CPIS de devenir ouvrier plutôt que CPIS alors que le rapport de chances ouvrier/PI tombe à [(1 239 000 / 637 000) / (224 000 / 321 000)] = 2,787.

L’intérêt de ces résultats est renforcé lorsqu’ils sont mis en perspective avec les évolutions de long terme. Cette démarche est facilitée par des publications en 2019 de l’INSEE, qui font état de l’évolution de la mobilité sociale des femmes et des hommes entre 1977 et 2015. Les enquêtes FQP de 1977, 1985, 1993, 2003 et 2014-2015 sont « reconstituées » afin de gagner en homogénéité et en pertinence. En particulier, l’échantillon est étendu aux 35 à 59 ans au motif que la mobilité professionnelle est stabilisée dès 35 ans maintenant, ce qui permet de comparer les situations professionnelles à âges égaux. Ensuite, les ouvriers qualifiés et employés qualifiés sont regroupés ainsi que les ouvriers non-qualifiés et employés non-qualifiés. Cela améliore la hiérarchisation des catégories et donc la mesure de la mobilité sociale. Notons que l’analyse sur le long terme puise opportunément dans les résultats de l’enquête emploi de 1953.

Remarque : La fluidité sociale montre qu’une société plus mobile n’est pas nécessairement une société plus fluide. En effet la mobilité observée peut s’accroitre, entre les catégories ouvriers et employés par exemple, sans que la probabilité d’accéder aux catégories valorisées, comme celle des cadres augmente.

II /À partir de la lecture des tables de mobilité, être capable de mettre en évidence des situations de mobilité ascendante, de reproduction sociale et de déclassement, et de retrouver les spécificités de la mobilité sociale des hommes et de celles des femmes

Les tables de mobilité permettent aussi de faire ressortir des éléments de mobilité observée portant sur la reproduction sociale, ainsi que les mobilités ascendantes et descendantes, c’est-à-dire le déclassement. Cela suppose de caractériser au préalable les situations de mobilité sociale. Jusqu’à l’enquête FQP de 2014-2015, la catégorisation utilisée par l’INSEE était la suivante.

L’évolution de la reproduction sociale (immobilité totale) est l’inverse de celle de la mobilité totale. Elle diminue d’autant plus faiblement que la mobilité structurelle devient plus faible, en dépit d’un surcroît de fluidité sociale. L’analyse de la mobilité verticale montre que l’ascenseur social est de plus en plus dynamique sur la période étudiée. Ceci peut être mis en relation avec la hausse de la fluidité sociale et, dans une moindre mesure, avec la mobilité structurelle puisqu’elle diminue. En effet, les flux ascendants augmentent, en particulier pour les femmes, ainsi que les flux descendants. De plus, les flux ascendants demeurent supérieurs aux flux descendants, bien qu’ils aient tendance à se rapprocher, comme le montre la diminution des rapports mobilité ascendante/mobilité descendante, qui restent supérieurs à 1, excepté pour les femmes quand elles sont comparées à leur père. Néanmoins, elles connaissent une évolution « très positive », selon l’INSEE, de leur mobilité sociale puisque leurs probabilités de mobilité descendante diminuent, quelles que soient leurs origines sociales.

Seulement, au fil des générations, elles occupent des emplois plus souvent salariés et qualifiés, donc plus exposés aux déclassements, ce qui explique la hausse globale des taux de déclassement depuis 40 ans. En revanche, les hommes subissent une baisse des flux ascendants à partir de 2003 due au ralentissement du développement des emplois les plus qualifiés.

Les études de l’INSEE publiées en 2019 font aussi ressortir les informations suivantes :

- L’analyse de la mobilité féminine est plus récente que celle de la mobilité masculine. En effet, les taux d’activité féminins ont longtemps été inférieurs à ceux des hommes, de même que la structure des emplois féminins divergeait de celle des emplois masculins. L’enquête FQP de 2014-2015 🡪Les femmes sont beaucoup plus souvent en mobilité ascendante par rapport à leur mère en 2015 qu’en 1977 .C’est vrai aussi par rapport à leur père mais dans une moindre mesure. La distribution genrée des statuts socioprofessionnels fait qu’elles ont toujours plus de facilité à progresser socialement par rapport à leur mère que par rapport à leur père.

🡪montre une mobilité féminine majoritaire et supérieure à celle des hommes .Au sein de la mobilité observée, la mobilité structurelle est forte. Les trajectoires de mobilité sont principalement ascendantes entre les mères et les filles, mais le déclassement est plus élevé par rapport aux pères.

Par rapport aux hommes, les femmes éprouvent, en moyenne, un sentiment de déclassement plus élevé, notamment vis-à-vis de leur père. Ce sentiment de déclassement est moins élevé par rapport aux mères. Cette caractéristique de la mobilité féminine s’explique par les inégalités de genre sur le marché du travail, les pères occupant plus souvent des emplois qualifiés que les mères.

- L’enquête Formation qualification professionnelle réalisée par l’Insee en 2014-2015 montre que les hommes occupent majoritairement des PCS différentes de celles de leur père. La mobilité sociale masculine se caractérise par une mobilité structurelle minoritaire et en diminution depuis les années 1970.Les trajectoires des individus sont le plus souvent verticales et courtes, et montrent une mobilité ascendante entre des PCS proches.

- Les hommes issus du haut de l’échelle sociale connaissent de plus en plus souvent de forts déclassements sociaux (fils de CPIS ou PI devenus des ouvriers ou des employés), mais ils restent moins fréquents que les déclassements plus faibles.

Si le déclassement masculin ne concerne que 16% des hommes, il a été multiplié par quatre entre 1977 et 2014-2015.Sur cette période, la mobilité sociale descendante a augmenté pour les enfants de cadres et de professions intermédiaires tandis qu’elle a diminué pour les employés et ouvriers. Actuellement, le sentiment de déclassement touche toutes les catégories sociales. En 2014- 2015, 25% des hommes âgés de 30 à 49 ans se sentent déclassés par rapport à leur père. Ce sentiment s’explique en partie par la précarisation des emplois et la dégradation des conditions de travail ressentie par les salariés.

- Les flux de mobilité verticale se font plutôt entre des groupes proches, comme l’indiquent les tables de destinée. Ces évolutions nuancent les analyses de Louis Chauvel ou de Camille Peugny qui mettent en avant un important processus de déclassement au sein de la société française. Elles ont en commun de procéder à des comparaisons entre des cohortes plutôt qu’entre des périodes longues de 19 à 24 ans comme c’est le cas à partir des enquêtes FQP. Cela évite un effet de lissage des profils de mobilité sociale et souligne la différenciation significative et durable des destins sociaux suivant l’année de naissance.

Ainsi, selon Louis Chauvel (2006), les personnes « nées entre 1945 et 1950 sont restées situées au long de leur carrière sur la crête d’une vague montante de cadres qui décroche pour les puînés ».

Les cohortes suivantes, nées entre 1950 et 1965, sont concernées par la stagnation de leurs chances d’accéder au salariat moyen et supérieur tandis que les cohortes nées à partir des années 1970 sont victimes d’une « banalisation des déclassements sociaux.» (L. Chauvel, 1982).

Ce processus concerne les classes moyennes qui voient monter le risque de paupérisation et de basculement vers les classes populaires, et ces dernières qui voient s’amenuiser leurs chances de promotion sociale. Camille Peugny (2014) confirme le déclassement depuis la génération née entre 1949 et 1953 jusqu’à celle née entre 1969 et 1973. Le sociologue montre que le mouvement global reste ascendant mais que le déclassement, parfois fort, pour les individus issus du haut de l’échelle sociale n’est pas compensé par une progression des trajectoires ascendantes des classes populaires.

À l’inverse, « Les générations nées immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale ont en effet profité d’une période sans précédent de forte croissance et de plein-emploi, mais également d’une première « explosion scolaire » : ces deux dynamiques leur ont offert des perspectives historiques de mobilité sociale » (C. Peugny, 2014). Camille Peugny montre aussi qu’il perdure une forte reproduction sociale en bas et en haut de l’échelle sociale, ce qui ramène à la présence de groupes sociaux relativement étanches.

III / Comprendre comment l’évolution de la structure socioprofessionnelle, les niveaux de formation et les ressources et configurations familiales contribuent à expliquer la mobilité sociale

Divers facteurs expliquent la mobilité sociale car ils influencent la mobilité structurelle et la fluidité sociale. La dynamique de la mobilité structurelle, présentée auparavant, résulte (aux différentiels près de flux migratoires et de fécondité entre les groupes) du changement dans la structure socioprofessionnelle entre les années 1950 et aujourd’hui (voir le thème : Comment est structurée la société française actuelle ?). Nous sommes passés d’une société agricole à une société industrielle, puis à une société post-industrielle au tournant des années 1970. Le salariat, notamment les postes d’encadrement (CPIS ou PI) dans le tertiaire, s’est considérablement développé. Toutefois, la transformation de la structure des emplois des hommes est surtout opérée à la fin des Trente Glorieuses tandis qu’elle survient plus tardivement pour les femmes. D’ailleurs, la croissance annuelle moyenne des postes qualifiés a significativement diminué à partir des années 1980, au moment même où entraient sur le marché du travail des personnes ayant connu une vague d’expansion de l’éducation secondaire et supérieure.

L’effet de l’évolution dans la distribution des emplois sur la mobilité sociale est identifié à minima par la mobilité structurelle. Elle facilite, sans être formellement une condition nécessaire, aussi l’amélioration de la fluidité sociale du fait de la hausse des niveaux de formation. Les familles ont perçu les opportunités de promotion sociale qui découlent de l’augmentation du nombre d’emplois qualifiés. Celle-ci est concomitante de la démocratisation (massification et réduction de l’inégalité des chances) de l’accès aux diplômes des enseignements secondaires et supérieurs constatée dès la fin des années 1960.

Etant donné que le diplôme est devenu le facteur explicatif le plus important de la position sociale dans un contexte d’accroissement de la qualification des emplois, on comprend que son accès démocratisé se traduise par une diminution de la force du lien entre l’origine sociale et la position sociale. Effectivement, l’extension massive de la scolarisation a contribué à la progression de la fluidité sociale et donc au progrès de la mobilité sociale.

Au-delà du constat global, des nuances doivent être apportées sur le processus de hausse des niveaux de formation et sur ses effets sur la mobilité sociale.

-L’école et les niveaux de formation constituent l’autre institution déterminant fortement la mobilité .Appliquée à l’école, la courbe de Gatsby montre que plus un système scolaire est inégalitaire, plus la reproduction sociale est importante.

- La hausse des niveaux de formation a été plus rapide que la progression des emplois qualifiés à partir de la fin des années 1970. Aussi, la valorisation des diplômes, notamment intermédiaires (du secondaire et du supérieur court) a diminué et on débouche sur une situation paradoxale où des générations (nées à partir de 1955) plus qualifiées que les précédentes connaissent une diminution du rapport ascendants/descendants, voire le déclassement.

De plus, le paradoxe d’Anderson montre que l’obtention d’un niveau de diplôme supérieur à celui des parents ne se traduit pas toujours par une meilleure position sociale (inflation du nombre de diplômés par rapport au nombre de postes correspondant et montée en qualification des métiers n’assurent pas forcément l’accès à une CSP supérieure à celle du père)…nombreux sont victime d’un déclassement scolaire et d’un déclassement social.

- La démocratisation de l’accès au diplôme n’empêche pas le maintien d’inégalités que l’on peut associer aux différences de ressources et de configurations familiales. En effet, quelle que soit l’origine sociale, le rapport mobilité ascendante/déclassement est plus faible pour les personnes issues de familles nombreuses (au moins trois frères ou sœurs). Les auteurs discernent un effet taille de la fratrie sur la destinée sociale stable dans le temps.

Ils précisent que cet effet joue moins pour les individus du haut de l’échelle sociale et qu’il transite par la réussite scolaire, laquelle dépend des ressources culturelles, économiques et sociales des familles. En effet, ces ressources définissent les conditions de vie (chambre individuelle, cours particuliers, aide aux devoirs, relations familiales) des enfants. Moins les enfants sont nombreux et plus les ressources sont concentrées sur un petit nombre, ce qui peut faciliter la réussite scolaire. Aussi, la réussite scolaire et la réussite sociale résultent de multiples processus liés aux ressources et configurations familiales dont les effets se cumulent, notamment la transmission intergénérationnelle du capital culturel, les modèles éducatifs ou encore l’inscription dans des réseaux familiaux.

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